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OMC / Interview : « Les pays émergents et en développement ont tout à gagner de la libéralisation du commerce des biens environnementaux » selon Mariana Vijil


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 Mariana Vijil est économiste, spécialiste des questions liées au commerce à la direction générale du Trésor, au ministère de l’Economie et des Finances français. Elle est également chercheur associé à la Ferdi (Fondation pour les Etudes et Recherches sur le Développement international).

Mariana Vijil est économiste, spécialiste des questions liées au commerce

Mariana Vijil est économiste, spécialiste des questions liées au commerce

Depuis six mois, l’Union européenne, les Etats-Unis et 12 autres membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont la Chine, négocient un accord plurilatéral pour libéraliser le commerce des biens environnementaux. Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Mariana Vijil : La question de la libéralisation des échanges de biens et services environnementaux, négociée dans le cadre de l’OMC à Doha, a traîné de longues années en raison de la difficulté à identifier ce qu’est un bien environnemental. En janvier 2014, le sujet est revenu sur la table après que 14 membres de l’OMC se soient mis d’accord pour lancer une initiative sur les biens environnementaux, appelée « Environmental Goods Agreement » (EGA), avec l’objectif de s’accorder sur une réduction, voire une élimination des droits de douane et d’étendre éventuellement par la suite l’initiative aux échanges de services et aux barrières non-tarifaires.

Les négociations prennent comme point de départ une liste de 54 biens environnementaux déterminée en 2012 par les pays membres de la Coopération économique pour l’Asie Pacifique (APEC), en cherchant à l’élargir considérablement. L’APEC a joué un rôle moteur. C’est la première fois qu’un groupe de pays est parvenu à se mettre d’accord sur une liste de biens environnementaux et sur un objectif, celui de réduire leurs tarifs jusqu’à 5% au moins d’ici 2015. Ce que l’OMC n’avait pas réussi à faire pendant dix ans.

Quelles sont les prochaines échéances ?

Mariana Vijil : Suite à l’engagement politique de janvier 2014, trois cycles ont eu lieu, en juillet, en novembre, puis en décembre 2014. Un quatrième cycle vient de s’achever fin janvier 2015. Pour l’heure, les négociateurs, qui travaillent en étroite collaboration avec les experts environnementaux et le secteur privé, se focalisent sur l’intérêt environnemental des biens qui peuvent être ajoutés à la liste. Ce sont des phases techniques.

Quelles sont les motivations pour parvenir à un tel accord ?

Mariana Vijil : C’est une double motivation. Il y a d’abord un intérêt environnemental. Les questions de croissance verte sont devenues cruciales aujourd’hui, dont les thématiques liées au changement climatique. Une réduction des barrières aux échanges permettra de diminuer le coût pour acquérir des biens environnementaux nécessaires à la lutte contre le changement climatique.

La deuxième motivation, c’est un intérêt économique pour les industries européennes et pour les autres membres d’EGA qui sont extrêmement performants dans les secteurs liés à l’économie verte.

Il s’agit de libéraliser le commerce de produits verts entrant dans la composition des panneaux solaires, des éoliennes ou encore des produits dédiés au traitement de l’eau et de l’air, à la gestion des déchets, ainsi qu’à la lutte contre la pollution sonore.

A qui profiterait un tel accord ? Quelles sont les retombées attendues ?

Mariana Vijil : Ces 14 membres de l’OMC représentent 86% du marché mondial annuel des produits verts. Et certains produits peuvent être extrêmement sensibles aux variations de prix. En Europe et aux Etats Unis, qui sont les deux plus gros producteurs de biens environnementaux, les tarifs appliqués sont bas, en moyenne de 1,9% et 1,5% respectivement. Dans certains pays en développement en revanche, les droits de douane sur les produits verts demeurent encore élevés. La Chine et la Corée du Sud appliquent des tarifs à l’importation de 5% et de 5,4% en moyenne, avec des pics tarifaires très élevés pouvant atteindre 35%. Ce sont ces pays qui auront à fournir le plus d’effort. Mais en même temps, ils ont énormément investi ces dernières années dans les énergies vertes, dans la constitution d’une industrie locale et ils commencent à devenir des concurrents sérieux à l’export.

Libéraliser le commerce des biens environnementaux procurerait des gains économiques non négligeables, de l’ordre de 11 milliards de dollars pour les membres d’EGA, si les tarifs étaient éliminés de la seule liste APEC. Même si les principaux gains sont ailleurs, dans la réduction des barrières non tarifaires, avec l’harmonisation des normes et procédures notamment, et dans la libéralisation des services.

Pour les pays les moins avancés en revanche, les gains semblent moins évidents…

Mariana Vijil : Dans une étude menée avec Jaime de Melo pour le compte de la FERDI*, nous montrons que les pays à bas revenu verraient leurs importations de biens environnementaux, sur la base de la liste APEC, s’accroître de 4,3% si l’on divisait les droits de douane par deux. En se basant sur la liste des biens OMC avec 411 produits, la hausse serait de 7,9%.

Ce genre d’accord est pertinent pour tout le monde, à différents niveaux. Les pays industrialisés sont dans une phase où la pression de la société civile pour un développement durable est de plus en plus forte, d’où une réglementation plus stricte, des objectifs plus exigeants à atteindre et de ce fait une plus grande demande en matière de biens, services et technologies vertes. Les pays en développement et notamment les PMA sont encore à un stade où flotte l’impression qu’il s’agit de faire un arbitrage entre le développement économique et la protection de l’environnement. Sauf qu’ils ont de moins en moins la possibilité de miser sur la croissance sans tenir compte des enjeux environnementaux. Plus ils se développeront, plus il y aura de la demande pour les « investissements verts ». D’autant plus qu’à l’avenir, les principales émissions vont venir des pays émergents.

Pour l’instant, les 14 membres ont convenu d’octroyer le bénéfice de l’accord de façon unilatérale, c’est à dire d’appliquer la clause de la nation la plus favorisée, lorsqu’un seuil critique de participation sera atteint. Ce seuil critique n’est pas encore défini. Mais que cette clause soit appliquée ou non, les pays en développement doivent entrer dans l’accord parce que ce sont eux qui auront le plus de manque à gagner s’ils ne baissent pas les tarifs.

Pour avoir un impact sur le changement climatique, il n’est pas plus significatif de demander aux États de prendre des engagements chiffrés sur la réduction de leurs émissions par exemple ?

Mariana Vijil : Tout va de pair. Pour que les pays puissent atteindre leurs objectifs chiffrés en matière d’émission, il est nécessaire qu’ils puissent avoir accès aux meilleurs biens, services et technologies vertes, à l’innovation, ce qui leur permettra d’être plus efficients. C’est en libéralisant le commerce que nous facilitons l’accès à ces produits, à ces services et à ces technologies. Aller vers un accord qui facilite l’échange de biens et de services environnementaux c’est aussi s’interroger sur la mise en place de normes. Les études montrent qu’il y a une forte corrélation entre la force de la réglementation nationale et la performance de l’industrie verte. Des normes élevées incitent des investissements et du coup favorisent l’émergence d’une industrie performante. C’est ce qu’il s’est passé en Europe et aux USA.

Quelles sont les principales contraintes liées à ces négociations ?

Mariana Vijil :  La première c’est l’identification de ce qu’est un bien environnemental. Comment identifier et décrire cette composante exclusivement environnementale ? C’est là toute la difficulté, les biens en question ayant souvent des usages multiples. Les pays négociateurs essaient de contourner l’aspect normatif en s’intéressant à l’utilisation finale du bien, en considérant des biens intermédiaires indispensables à la production du bien environnemental.

Dans le cadre de l’efficience énergétique, une autre contrainte est de ne pas introduire de distorsions dans les choix technologiques retenus par les opérateurs, ce qu’on appelle le concept de neutralité technologique. Si l’on prend par exemple les voitures électriques. De prime abord, on pourrait penser qu’elles pourraient entrer dans la liste. Or, si l’on considère l’émission de CO2 de l’ensemble de la chaîne de production d’électricité, certaines technologies utilisant directement des énergies fossiles ou d’autres sources d’énergie, peuvent être toutes aussi efficientes. L’objectif fondamental est donc de ne pas pénaliser l’innovation en privilégiant un choix technologique plutôt qu’un autre.

Enfin, la dernière contrainte consiste à intégrer dans les négociations les barrières non tarifaires et les barrières aux échanges de services. Certains services s’avèrent indispensables aux échanges de biens environnementaux. Au-delà de leur identification, qui s’avère encore plus difficile que pour les biens environnementaux, c’est la possible articulation entre l’Accord sur le commerce des services (TiSA) et EGA, deux accords avec des partenaires différents, qui constitue un des principaux défis.

Propos recueillis par Christelle Marot

NB : Les propos recueillis ici n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas la position de la DG Trésor.


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