Passez, rien à voir. L’Agence Bénin-Presse (ABP) est dissoute. Ainsi, un acte inédit qui devrait provoquer une onde de choc ou faire l’effet d’un pavé dans la mare, est passé incognito. Non pas tant parce que la mare aux médias est sinon asséchée, du moins à l’étiage. Les raisons de cette indifférence face à la dissolution du supposé « pourvoyeur » national d’informations sont évidentes.
Par Amègnihoué HOUNDJI
C’est un euphémisme de dire que l’ABP peine à assumer son rôle statutaire de collecte de l’information sur toute l’étendue du territoire national, de traitement et de mise à la disposition des publieurs (quotidiens, périodiques, magazines, etc.), des diffuseurs audiovisuels et par extension, des institutions (Présidence de la République, ministères, représentations diplomatiques, ONG, etc.). Or, c’est en accomplissant cette fonction statutaire que sa signature « ABP » dans les médias de tous formats l’aurait rendue incontournable, les rédactions faisant prévaloir l’information sur toute autre considération.
Onze bureaux régionaux. Un correspondant par bureau. Dans le meilleur des cas, le correspondant esseulé devenait le chargé de communication du Préfet du département, réduit à la collecte de l’information institutionnelle. En d’autres temps, les préfets étaient si dépendants de l’ABP au plan communicationnel qu’ils influençaient des décisions de la direction générale, par ministère de tutelle interposé.
Il est vrai, ce temps est révolu, mais la force de l’ABP reste encore dans les régions. Les principaux clients potentiels étant concentrés à Cotonou, que peut leur proposer l’agence de nouveau si elle ne se contente que de la couverture de la capitale économique ?
Sous ce prisme, les responsables de l’ABP n’ont pas été toujours irréprochables. Il est arrivé que certains perdent de vue cette évidence dans l’affectation des rares ressources ou petits privilèges, créant des frustrations au niveau des correspondants régionaux. Exemple, la direction générale affecte des motos neuves à des administratifs au siège pour leurs déplacements privés, pendant que des correspondants en sont dépourvus.
Sans aucune intention de tirer sur un corbillard, il faut avouer que certains responsables de l’ABP n’ont pas toujours internalisé la mission de l’agence nationale de presse, pour en faire leur boussole. Parfois, ils se sont pris pour de simples administratifs ou quincaillers. Des querelles de « coépouses » mesquines et autres intrigues inhérentes à la gestion de la pénurie ont eu des effets lents mais elles ont fragilisé ce parent pauvre du service public de l’information en le rendant répulsif à l’égard de ceux qui pourraient se prévaloir d’une compétence doublée d’une expérience avérées. Ils sont allés vers des prés plus verts. Qui est fou ?
« Radio ABP ». Quelle idée ?
L’agence peut et doit produire de l’audio destiné à la clientèle, dans une sorte de monitoring. Ce n’est pas nouveau et cela s’impose dans le souci de diversification et du multimédia. Mais pas une radio qui suppose un programme, tout de même. L’Etat béninois, le propriétaire-pourvoyeur de moyens a déjà quatre radios (Radio nationale, Alafia, Atlantique FM, Radio Parakou) avec des cahiers des charges bien précis. L’agence devrait plutôt serrer son angle et occuper l’espace à lui concédé dans ses statuts. Autrement, les représentants de l’Etat-propriétaire pourraient être fondés à déduire de ce « vagabondage » qui frise l’amateurisme que l’agence est sans objet, alors que son propre champ demeure en friches.
Et ce n’est la demande qui fait défaut. Loin s’en faut. Radio locale d’Ouessè, dans les Collines, diffusant un long élément de la VOA (Voice of America) en guise de journal, faute d’informations nationales. Cela avait inspiré l’ABP qui avait installé dans ces radios en zones non couvertes par l’internet à l’époque, un dispositif satellitaire en partenariat avec l’AFP (Agence France-Presse), pour leur fournir sa production propre et le fil AFP en bonus. Cette initiative était si appréciée que les mairies abritant les radios concernées avaient signé un contrat de partenariat avec l’ABP pour en payer le service. C’était avant 2013.
Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous le pont. Que sont devenus ces installations, ces contrats ? La valse des ministres de tutelle, des conseils d’administration, des directeurs généraux et surtout, n’étant pas des tresseurs de corde, peut-être a-t-on jeté tout cela par-dessus bord. Autre temps, autres mœurs.
Même pas une Rédaction centrale
Ce genre de partenariat avec les mairies est une des pistes que le gouvernement aurait dû explorer, entre autres, plutôt que de demander aux employés de trouver un « modèle économique »susceptible de sauver l’entreprise. Sommes-nous retournés à l’ère de l’auto-gestion ?
Faire abonner tous les ministères, les institutions, les représentations diplomatiques du Bénin, les préfectures, les mairies, etc. à l’ABP en plus de la clientèle traditionnelle. C’est la formule AFP, la « doyenne », héritière de l’agence Havas créée en 1835 par Charles-Louis Havas, devenue propriété de l’Etat français depuis 1944.
Nombre d’agences nationales fonctionnent sur ce modèle de subvention indirecte, tandis que d’autres bénéficient d’une subvention directe de l’Etat en tant qu’établissements publics.
L’Agence ivoirienne d’information créée en 1961par l’État de Côte d’Ivoire, est un établissement public national à caractère administratif placé sous la tutelle administrative et technique du ministère de la Communication et sous la tutelle économique et financière du ministère de l’Économie et des Finances. L’APS-Sénégal est un Etablissement public à caractère industriel et commercial (Société nationale), employant une centaine de journalistes. L’ABP n’avait jamais dépassé la dizaine. A sa dissolution, elle n’avait même plus une rédaction centrale et comptait très peu de journalistes expérimentés.
Neutralité
Il est illusoire de s’attendre à la rentabilité financière d’une structure qui ne fait que de l’information. Tous les spécialistes le savent, l’information sert à attirer une audience que les publieurs et les diffuseurs vendent aux annonceurs. Les journaux (tous supports), les radios, les télévisions tirent l’essentiel de leurs revenus de la publicité, du sponsoring, de subventions, etc. Au Bénin, la taxe radiophonique défalquée annuellement sur les salaires des agents de l’Etat au profit de l’ORTB (Office de radiodiffusion et de télévision du Bénin) illustre à merveille cette réalité.
De par sa nature, une agence nationale de presse ne peut faire que de l’information, ses produits étant destinés aux médias et non directement au public. Elle ne peut faire de la propagande ou du marketing politique parce s’adressant aux médias aux lignes éditoriales tributaires de divers courants politiques, idéologiques, philosophiques, religieux, etc. Cette neutralité est à la fois la force et la faiblesse des agences de presse, selon que les gouvernants accordent la primauté à l’information ou à la propagande. Il reste que l’information et non la propagande, contribue au renforcement du sentiment du vivre ensemble. Les échanges d’informations sont déterminants dans la vie en communauté. Et c’est le rôle statutaire des agences nationales.
Des multilatéraux mais aussi des bilatéraux comprennent si bien ce rôle qu’ils financent à chaque fois des projets en faveur des agences de presse. L’Agence panafricaine d’information (PANA) basée à Dakar a été créée en vue de l’instauration d’un nouvel ordre mondial de l’information – le statu quo étant manifestement défavorable à l’Afrique – avec l’appui de l’UNESCO. Le projet de développement des agences de l’Afrique de l’ouest (WANAD) sur financement de l’Allemagne, basé à Cotonou, a équipé nombre d’agences nationales et formé plusieurs journalistes et techniciens. Un autre projet similaire basé à Yaoundé (Cameroun) était dédié à la même mission. Même aujourd’hui ou peut-être dans le futur, il n’est pas exclu que des organismes internationaux volent au secours des agences nationales à vos-lots, pour peu que les Etats-propriétaires en fassent une priorité.
Les bonnes nouvelles d’à-côté
Certes l’ABP était dans un état végétatif, faute de vision. Mais fallait-il pour autant l’euthanasier ? A-t-on le droit de détruire un attribut de souveraineté hérité, dont on ignore l’utilité ? La sagesse recommande plutôt que l’on le sauvegarde pour la postérité. Des successeurs avertis pourraient en avoir besoin. A moins de le remplacer par un autre outil plus performant. Une option encore ouverte, puisque personne ne peut faire admettre aujourd’hui que les réseaux sociaux, incontrôlables par essence, remplacent une agence de presse supposée constituer une « digue » contre les fake news et autres infox.
« L’Agence de presse sénégalaise occupe aujourd’hui une place de choix dans le paysage médiatique sénégalais. Elle a connu dans la douleur comme en douceur, de profondes mutations. Les changements ont été dans les hommes et les directions, dans le style rédactionnel et le mode de distribution de l’information », lit-on sur le site de l’APS. Elle produit du son et des images au-delà des dépêches classiques.
En 2019, l’APS a remporté le grand prix de la FAPAA (Fédération des agences de presse africaine et atlantique) qui réunit une quarantaine d’agences, moins L’ABP maintenant. L’APS figure parmi les meilleures en termes de contenu, d’innovations technologiques et de créativité.
Depuis 1998, la Nigerian Agency of News (NAN) transmet simultanément par satellite sa production aux abonnés au fur et à mesure du traitement. Avec un demi-millier de journalistes positionnés dans les 36 États de la Fédération et un correspondant à New York, la NAN peut se vanter d’être à l’affût de l’information et qu’aucun autre media ne couvre mieux le Nigeria qu’elle. « No other news organisation covers Nigeria more than NAN ». De telles prouesses ne seraient-elles pas reproductibles au « Quartier Latin de l’Afrique » ?
Hommages
L’anonymat étant une exigence de l »agence, c’est l’occasion de rendre hommage aux journalistes qui ont travaillé à l’ABP devenue ex-ABP, rien que par pseudonymes, noms de plume ou simples initiales.
Ceux et celles qui ont cassé la plume
René Mêgniho Dossa, Evariste Dègla, Moussédikou Damala, Gisèle Paraïso, Alao Fari Yaya, Bernard Kayossi, René Ewagnignon, Euloge Akouakou, Fiacre Hounnou, Benoît Siavi Hounsounou, Victor Anagonou Baba, Ladislas Prosper Gbaguidi, d’Assomption Parfait Mèhou, Noël Tamou, Robert Amegah, Didier Briand Hounkpatin, Ginette Mireille Adjovi, Maurice Ekoué, Théodore Ahouangan Kploca, Raoul Louis Zekpa, Christine Santos Elégbédé…Que leur âme repose en paix.
Plumes en standby (la notion de retraite étant antinomique du Journalisme)
Innocent Lawson, Boniface Agueh, Michel Adousso, François Gbèdagni, Emmanuel Kodjo Agbocou, Denis Louis Akpoué, Amégnihoué Houndji, Toussaint Gbaguidi, Fidel Ayikoué, Roufaï Akobi, Boubacar Boni Biao…
La « Diaspora »
Brigitte Tchibozo Massou, Gisèle Glèlè, Clotilde Podanho, Marie Aho, Eulalie Adonon, Valère Bio, Adrien Hounkoué, Laure Emma Zannou, Sylvia d’Almeida, Abel Gbètoénonmon, Thérèse Isséki, Amzath Fassassi, Bell’aube Houinato, Agueh Maximilien, Fernando Hessou, Sylvestre Nonfodji, Wabi Migan, Alain Sodji, Sanni Moumouni Séidou, Aristide Ekpangbo, Claude Adigbli, José Gnimadi, Hervé Jossè, Jonas Dètondji, Joël Toffoun, Michel Adousso, Christine Santos, Léontine Adébiayé, Arthur Ballé, Pécine Gomez…
Les « Orphelins »
Joseph Vodounon Djodo, Naboa Tchéou, Mèton Sessou, Innocent Atidéyètin, Rodéric Dèdègnohou, Anafi Bio Nikki Soulé, Jean Marie Nafonhoundé, Moutarou Idrissou, Boni N’yô Sinansson, Catherine Agbanou, Alphonse Missihoun, Innocent Degnide, Charnelle Gbèdolo, Khadija Djibril et tout le personnel de soutien (techniciens, secrétaires, conducteurs, agents de sécurité…).