« Des marchés pharmaceutiques en mutation dans les Suds : Entre régulations locales et globales » c’est le titre d’un ouvrage qui jette un regard global sur les marchés de médicaments dans les pays du Sud. Lancé officiellement le vendredi 13 octobre 2023 dans l’Amphithéâtre Houdégbé de l’Université d’Abomey-Calavi, l’ouvrage fait une analyse des enjeux mondiaux liés aux marchés du médicament en Afrique et en Asie : de la production aux usages en passant par l’ensemble de la chaîne de distribution et de la régulation. Sous la présidence du Prof Placide Clédjo, Directeur de l’EDP/ECD de l’UAC, assisté des deux co-auteurs (présents), Dr Carine Baxerres et le Prof Adolphe Kpatchavi, l’ouvrage a été dédicacé aux premiers bénéficiaires.
Aline ASSANKPON
« Des marchés pharmaceutiques en mutation dans les Suds : Entre régulations locales et globales », cet ouvrage est une étude comparative des différents systèmes pharmaceutiques nationaux en Afrique et en Asie ; de la production, distribution, prescription ou non, la consommation (l’automédication qui est très courante dans les pratiques) et les usages pharmaceutiques. Il permet de comprendre de manière globale les enjeux mondiaux qui animent aujourd’hui les marchés du médicament dans les pays du Sud.
Subdivisé en trois parties : la partie 1 du livre fait l’historique des choix de régulations étatiques et leurs conséquences. « Les conséquences en termes de productions pharmaceutiques, de distributions des produits pharmaceutiques et de régulation » ; La partie 2, aborde les marchés globaux et locaux des nouveaux antipaludiques ; une sorte de cas pratiques de médicaments couramment consommés par les patients en Afrique et en Asie ; Et enfin, la troisième partie fait la thèse de la « pharmaceuticalisation » où le médicament demeure au cœur de la santé publique.
Des recherches pluridisciplinaires
Les travaux de recherches pluridisciplinaires de plusieurs co-auteurs ont abouti à l’édition du livre. Ces travaux relèvent du domaine de la sociologie, de l’Anthropologie, de l’épidémiologie, de la santé publique et de l’Ordre des pharmaciens, menés dans trois pays : le Bénin, le Ghana (en Afrique) et le Cambodge (en Asie).
Dans sa présentation, Dr Carine Baxerres (co-auteure) qui a pu mener des recherches dans les trois Universités (Bénin, Ghana et Cambodge), parle du poids de l’histoire coloniale et postcoloniale sur certains pays du Sud. Dans un cas pratique comparatif, Dr Braxerres, dira que le Bénin a fait l’option – depuis la période postcoloniale – de miser sur l’importation et la distribution des produits pharmaceutiques d’où sa dépendance face à l’influence des acteurs transnationaux (Nations Unies, Fondations privées et industries) sur les marchés pharmaceutiques locaux et sur la prise en charge des endémies.
Tandis que le Ghana, pays anglophone de la même région ouest-africaine, a fait l’option (à la même époque), de miser sur la production industrielle locale avec à la clé, une politique libérale de distribution. Résultat : les fameux « Drogs stores se retrouvent à tous les coins de rue au Ghana. La production locale est devenue un puissant facteur du développement économique et de régulation nationale.
Et la vulnérabilité des consommateurs très proactifs l’amène à déclarer que « toutes les personnes n’ont pas accès aux mêmes soins et aux mêmes médicaments en fonction de leurs statuts et de leur lieu de résidence.»
Une démonstration analytique faite des traitements contre le paludisme – qui est endémique – à base d’Artémisine (CTA), illustre bien les dynamiques actuelles des marchés pharmaceutiques au Sud. De l’activité des firmes pharmaceutiques aux stratégies commerciales des acteurs économiques, en passant par les pratiques de soins des individus enclins à l’automédication et le recours au système de santé. C’est l’ensemble de toute la chaîne du médicament qui est analysée dans l’ouvrage.
«Entre exigences de santé publique et intérêts économiques, ce livre propose à l’attention des puissances publiques, des outils pour gouverner les marchés pharmaceutiques en privilégiant les aspects de sûreté, d’utilité thérapeutique et d’accessibilité des produits » souligne Dr Baxerres.
En adhérant à la présentation du Dr Baxerres, le Prof Adolphe Kpatchavi (co-auteur) va rappeller que tout est partie d’une rencontre et d’un partenariat sur l’Anthropologie du secteur informel des médicaments au Bénin qui converge vers les savoirs endogènes sur le traitement du paludisme. « Le concept du Sud est partie du Bénin pour s’étendre au Ghana et au Cambodge. Il s’agit-là d’une histoire de partenariat entre les Universités des trois pays avec une démarche convergente, pluridisciplinaire : le travail de recherches est élargi aux Anthropologues, Sociologues des produits pharmaceutiques, Epidémiologistes, Spécialistes de santé publique et aux Pharmaciens ».
Une démarche pluridisciplinaire concrète et convergente : « Nous devons converger du point de vue Epidémiologie, conceptuelle et théorique et du point de vue des résultats à présenter » précise Prof Kpatchavi.
En effet, les travaux de recherches et d’édition sont soutenus financièrement par l’IRD (Institut de Recherches pour le Développement) afin de permettre à tous les acteurs d’avoir une compréhension globale du marché parallèle de médicaments dans les pays du Sud, du Bénin au Cambodge en passant par le Ghana. Ainsi, plusieurs pistes ont été explorées.
De la distribution à la régulation des produits pharmaceutiques
La démarche scientifique a réuni plusieurs co-auteurs (Anthropologues, Sociologues, spécialistes des Epidémiologies et de la Santé publique, Pharmaciens, etc) à toucher à la corde sensible de la chaîne de production et de distribution de médicaments : « Lorsqu’on produit un médicament, comment il se distribue d’un pays à un autre ? » « Les politiques de distribution au Bénin sont-elles analogues à celles au Ghana et au Cambodge ? » « La prescription des médicaments est une science, mais dans la pratique, que devient-elle ?»
Les co-auteurs se sont également interrogés sur la prescription dans les trois pays de recherches. « Le médicament, c’est aussi les politiques, c’est la régulation. Lorsqu’on prend le marché « Adjégounlê » au Bénin, c’est un marché informel, tandis que le marché local de vente de médicament au Ghana n’est pas informel : ce qui veut dire que d’un pays à un autre, la régulation n’est pas la même » observe Prof Kpatchavi.
« Et quel est le pas entre le médicament prescrit, acheté et le médicament non prescrit mais acheté ? » « Et comment ça fonctionne concrètement dans nos officines pharmaceutiques. » « Quels sont les résultats ou satisfactions obtenus par les patients et usagers des officines pharmaceutiques ? » « La posologie est-t-elle toujours respectée ? »
Autant de questionnement ont abouti à des réponses pertinentes cristallisées autour d’une maladie : le paludisme qui apparait comme la porte d’entrée des recherches. «Dans cette interpluridisciplinalité, nous avons réalisé une ethnographie approfondie de l’utilisation, de la consommation des médicaments dans les trois pays. Et ce sont les résultats des travaux scientifiques qui ont abouti à l’édition de cet ouvrage » indique Prof Kpatchavi.
Pour l’Anthropologue, c’est le tout premier ouvrage qui jette un regard global sur les marchés des médicaments du point de vue de la politique, de la régulation, de la distribution, de la consommation et de l’utilisation des médicaments dans les pays du Sud. « C’est un outil de travail pour régler le problème de médicament qui est régulation, qualité, accessibilité à nos populations ».
«Le médicament une marchandise certes, mais pas comme les autres » rappela Dr Baxerres qui pour conclure fait quelques recommandations qui consistent à : «Réfléchir à reprendre le contrôle du marché pharmaceutique ; Elaborer des standards officiels pour une qualité essentielles ; Equilibrer la dynamique de l’offre et le contrôle professionnels sur la distribution des médicaments et enfin offrir une place de choix aux consommateurs et à la société civile ».
En termes de perspectives, Prof Kpatchavi souhaite que cette démarche scientifique soit répliquée à d’autres pathologies que le paludisme ; surtout qu’il existe aujourd’hui des pathologies émergentes.
Lancement et Dédicace
Publié par les Editions « Un éditeur pour le développement« le livre « Des marchés pharmaceutiques en mutation dans les Suds : Entre régulations locales et globales » a été officiellement lancé par le Prof Placide Clédjo, Directeur de l’Ecole Doctorale Pluridisciplinaire, Espace Culture et Développement (EDP/ECD) de l’Université d’Abomey-Calavi.
Saluant les différents chercheurs, spécialistes de hauts rangs, Etudiants, agents de développement, partenaires nationaux et internationaux, Responsables d’Ongs et de Bureaux, Collectivités locales, agents de services déconcentrés de l’Etat, Prof Clédjo adresse un sincère satisfecit à toute l’équipe d’Anthropologue béninois qui ont contribué à la rédaction de l’ouvrage : Prof Roch Houngnihin ; Prof Adolphe Kpatchavi ; Dr Carine Baxerres, pour ne citer que ceux-là.
«Le médicament est apparait aujourd’hui comme l’un des dispositifs-santé de nos systèmes santé. Il se trouve au cœur de la relation thérapeutique. Nous sommes en face d’une invasion pharmaceutique avec des problèmes majeurs en lien avec des coûts et la maîtrise des consommations ; malgré ces aspects, le médicament reste peu étudié » indique Prof Clédjo, qui ajoute que l’ouvrage vient donc à point nommé. « Il est important de comprendre les facteurs socio-culturels sur les comportements liés à la santé, sur la prise en charge des patients pour pouvoir fournir des soins sur la santé des populations ».
Après avoir dédicacé quelques exemplaires du livre, trois structures représentant la chaîne de distribution des médicaments au Bénin ont été gratifiées. Le livre est vendu à 11.500 Fcfa.