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Le monde en Afrique / Enquête : En Afrique, le cube Maggi à toutes les sauces


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Quel est le point commun entre un Man tindjan du Bénin, un tieboudienne qui mijote à Dakar, un n’dolè à Yaoundé, un soupou kandja à Bamako ou un yassa poulet à Nouakchott ? La réponse pèse quatre grammes et mesure près de trois centimètres : le cube Maggi.

Devenu incontournable dans les marmites africaines, le cube s’est adapté au fil des ans, aux goûts locaux.

Devenu incontournable dans les marmites africaines, le cube s’est adapté au fil des ans, aux goûts locaux.

-ci est devenu tellement incontournable dans les marmites africaines qu’il est considéré comme un ingrédient faisant partie des recettes, au même titre que les cuillerées d’huile ou les pincées de sel. « On en met par habitude, reconnaissent toutes les cuisinières du continent. C’est devenu un réflexe de l’ajouter dans les plats. » Un drôle de paradoxe quand on sait que n’importe quel marché de quartier propose des dizaines d’épices.

Tous les cordons bleus disent aujourd’hui qu’elles ont vu leur mère et leur grand-mère assaisonner leurs sauces avec le fameux bouillon Kub. Cela fait en réalité plus d’un siècle qu’il a débarqué en Afrique. Inventé en 1886 par le Suisse Julius Maggi, l’arôme était destiné à relever les bouillons trop fades et les soupes insipides, mais aussi à faire gagner du temps derrière les fourneaux.

Il tient dans la poche

A la fin du XIXe siècle, l’Europe est alors en pleine révolution industrielle et, de plus en plus souvent, les femmes travaillent dans les usines. « Cette industrialisation de la cuisine permet à l’ouvrier d’obtenir de suite, par simple chauffage, une nourriture substantielle et à bon marché », expliquait Julius Maggi qui, un an après avoir découvert l’arôme Maggi, a décliné son produit en tablettes. Très vite, celui-ci est devenu le produit phare de la gamme.

Sur l’ensemble du continent, le marché est légèrement à la hausse ce qui correspond à l’augmentation démographique. »

Sur l’ensemble du continent, le marché est légèrement à la hausse ce qui correspond à l’augmentation démographique. »

Son arrivée sur le marché coïncide quasiment avec la signature du traité de Berlin de 1885, qui régit les règles du commerce entre les puissances coloniales et ouvre la libre circulation des produits sur le continent. Au fond des pirogues, brinquebalés à dos d’hommes ou de chameaux, des milliers de cubes voyagent ainsi à travers les anciennes colonies. Ils séduisent les populations locales qui apprécient cet ingrédient bon marché : il tient dans la poche, ne périme pas, n’a besoin d’aucune réfrigération et résiste aux températures élevées.

La deuxième raison qui peut expliquer ce formidable essor est plus subtile : en intégrant quelques cubes dans les plats, on leur ajoute un goût de viande ou de poisson. Un argument efficace et intéressant quand ces aliments souvent chers viennent à manquer dans les foyers.

Le cube s’est africanisé et s’accompagne souvent des rumeurs…

Jusqu’en 1979, tous les cubes Maggi ont été importés. Afin notamment de limiter les coûts de transport et mieux satisfaire la demande, ils sont aujourd’hui fabriqués aux quatre coins du continent. Aujourd’hui, pas moins de onze usines – de Dakar à Douala, en passant par Brazzaville ou Abidjan – tournent à plein régime pour fabriquer les cubes. La demande est vertigineuse : il s’en écoule plus de 100 millions par jour…

Un tel produit de masse draine forcément derrière lui plusieurs histoires, plusieurs légendes. Au début des années 2000 et comme l’avait montré un feuilleton nigérian, on racontait, par exemple à Brazzaville, que le cube dissous dans la bière donnait un breuvage capable de donner la mort. La rumeur s’est tellement propagée qu’elle a fait fléchir les ventes au Congo. Au Mali, le « Maggi » est accusé de provoquer une baisse de la libido au point d’être banni dans certains foyers. En République démocratique du Congo enfin, de jeunes filles utiliseraient le cube en suppositoire… afin d’arrondir leur postérieur. Ce qui est sûr et même fréquent, c’est d’utiliser le cube (vendu à l’unité) en guise de monnaie puisque son prix n’excède jamais quelques dizaines de centimes.

Celui que l’on surnomme « corrige-madame » au Sénégal est entré dans tous les foyers. « Les plus gros marchés sont le Nigeria, où nous sommes présents depuis très longtemps [également le pays le plus peuplé du continent] et la Côte d’Ivoire, où Nestlé a ouvert un centre de recherche et développement, explique Patricio Astolfi, responsable Afrique de la marque. Sur l’ensemble du continent, le marché est légèrement à la hausse ce qui correspond à l’augmentation démographique. »

Epiceries de brousse

La marque s’appuie sur une force commerciale et un réseau de distribution qui va des grands marchés, au centre des capitales, jusqu’aux petites épiceries de brousse. Son développement exponentiel a été soutenu par un véritable matraquage publicitaire qui remonte à ses origines. « Si l’affaire devient florissante, elle le doit à l’intense travail de publicité, on pourrait même dire de propagande, mené par Julius Maggi lui-même, tant pour vanter la qualité de ses produits que pour barrer la concurrence », écrit Monique Pivot dans son ouvrage Maggi et la magie du bouillon Kub (Ed. Hoëbeke), qui relate l’ascension de la marque. Spots télévisés, partenariats, forums, panneaux d’affichage au slogan ravageur (« Avec Maggi, chaque femme est une étoile », peut-on lire près d’un pont d’Abidjan), la marque ne renonce devant rien. Au Sénégal ou au Nigeria, on peut même voir des bâtiments peints en rouge et jaune, selon une stratégie d’occupation de l’espace pour le moins agressive également développée par Coca-Cola.

« La force d’une marque, c’est d’abord son produit, explique Jean Watin-Augouard, rédacteur en chef de la Revue des marquesCelui-ci est peu encombrant, facile à utiliser et tellement ancré dans les mentalités qu’il ne peut pas décevoir, puisqu’il est devenu africain et fait partie de la famille. Avec son packaging simple aux couleurs chaudes, on est rassuré. C’est ce qui explique pourquoi on utilise aujourd’hui le cube pour cuisiner, tel un réflexe pavlovien. »

La grande force du « Maggi » – qui est au cœur d’une guerre commerciale depuis la fin des années 1970 avec l’espagnol Jumbo – c’est aussi de s’être adapté aux goûts locaux. Car la composition des cubes varie selon les latitudes. Celui qui est vendu au Ghana, par exemple, aura un goût de crevettes que l’on ne retrouvera pas en Côte d’Ivoire, où l’on a remplacé l’amidon de maïs par du manioc. Au Nigeria en revanche, on mettra en avant le gout de graines de soja grillées…

« En 2011, les cubes ont été fortifiés en fer pour lutter contre l’anémie liée à une carence de fer, sans que leur goût ne soit modifié, indique Henri-Pierre Lenoble, chargé de la stratégie nutritionnelle de la marque. Aujourd’hui, ils le sont tous à hauteur de 80 %. On sait que pour préparer un repas de six personnes, les consommateurs font mijoter cinq cubes dans leur plat, ce qui correspond à un apport de 15 % en fer de la valeur quotidienne recommandée. »

Il n’empêche que l’ingrédient majoritaire est le sel. « Il est important de ne pas saler les plats qui sont préparés avec les cubes aromatiques puisqu’ils en contiennent déjà beaucoup, entre 40 et 50 %, explique Florence Foucaut, membre de l’Agence française des diététiciens nutritionnistes (AFDN). L’abus de sel peut entraîner le développement de maladies cardiovasculaires, de l’hypertension et des insuffisances rénales. » (Par Pierre Lepidi – Le Monde Afrique)


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