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À la (re)découverte de la littérature africaine : Entre les eaux de Valentin Mudimbe


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Ph: DR-: Valentin-Yves Mudimbe, auteur de Entre les eaux

“Et dans le camion qui me ramenait au camp, je songeai à la nécessité de nettoyer le Temple. Les marchands y sont de nouveau… Ils prêchent la charité et la générosité à des hommes qui sont parmi les plus pauvres et, la conscience tranquille, ils volent ces pauvres. Pas tous les prêtres bien sûr mais tous les autres en jouissent. L’Église dans mon pays constitue une espèce d’internationale des voleurs travaillant sous le signe de Dieu…. Ces 500 hectares de la paroisse de Kanga que cultivent chaque jour des catéchumènes ! En retour, ces appelés du Seigneur n’ont droit qu’à un maigre repas quotidien et à deux heures d’instruction religieuse. Ils achètent ainsi leur baptême, dans la sueur, le sang et l’exploitation. L’œuvre de communion, le message de charité sont devenus des alibis couvrant des entreprises commerciales. La Foi comme la vie religieuse ne sont plus, hélas, que des moyens au service des intérêts purement humains. Non, la mauvaise foi et l’inconscience ont été poussées à l’extrême limite.”

Ce passage résume assez bien le roman publié par Mudimbe en 1973 chez Présence Africaine. Comme le Camerounais Fabien Eboussi, le penseur congolais se montre peu tendre avec les missionnaires occidentaux dont le comportement n’a rien à voir avec l’Évangile qui enseigne que tous les hommes sont frères parce qu’ enfants de Dieu, quelle que soit leur couleur de peau, et que personne n’a le droit d’user de la ruse ou de la force pour prendre le bien d’autrui. Pour lui, ces missionnaires ne demandent pas aux Africains de se convertir au message chrétien en tant que tel mais à la façon de voir et de faire de leur continent.

C’est d’abord cette imposture et cet impérialisme religieux déguisé en évangélisation qui sont au cœur du roman “Entre les eaux”. Le héros, Pierre Landu, qui se définit lui-même comme quelqu’un qui n’est “rien de plus, ni un Africain ni un Occidental, [ni] un serviteur de Dieu, de la foi et de ses frères noirs, mais d’un christianisme culturel faisant corps avec l’Occident capitaliste qui dominait son pays”, ne peut pas s’accommoder longtemps de cette mauvaise foi et de cette escroquerie intellectuelle. De plus, il ne comprend pas pourquoi le catholicisme serait meilleur et plus vrai que la religion de ses ancêtres. Il décide alors de quitter la prêtrise, ne veut plus appartenir à cette Église qui, tout en collaborant avec l’administration coloniale, fait croire comme Mgr Marcel Lefebvre, archevêque de Dakar et délégué apostolique pour l’Afrique française, que l’indépendance ne peut être que l’œuvre du diable. Convaincu que seule la lutte peut libérer son pays de la colonisation et soucieux de “participer à la création des conditions nouvelles pour que le Seigneur Jésus ne soit plus défiguré”, Landu s’engage dans un mouvement marxiste et prend le maquis. Mais les choses ne se passent pas comme il aurait voulu. En effet, bien que chargé de former les militants et de “combattre l’influence réactionnaire et moyenâgeuse du clergé, des missions chrétiennes et autres éléments”, il est soupçonné par ses camarades guérilleros d’avoir gardé des liens avec la foi et l’Église considérées par eux comme des “injustices institutionnalisées”. Landu découvre surtout qu’il y a des contradictions entre l’idéologie marxiste et sa mise en pratique sur le plan socio-économique. À cause d’une lettre adressée clandestinement à l’évêque de Makiadi et dans laquelle il justifie son choix tout en réaffirmant sa fidélité à Jésus-Christ, il est condamné à mort. C’est une attaque du camp par l’armée gouvernementale qui le sauvera de justesse. Après cette attaque, Landu rompt avec la rébellion marxiste où il ne s’habitua jamais au rituel de la mort disciplinaire.

Pour affronter la nouvelle vie qui l’attend, il épouse une jeune femme rejetée par la société traditionnelle mais son mariage ne lui apporte pas plus de bonheur que la rébellion. Il se retire alors dans un couvent cistercien où il portera un nouveau nom (Mathieu-Marie de l’Incarnation) mais débarrassé désormais de l’illusion qu’un messie arrivera pour sauver les Noirs.

Valentin Mudimbe, qui vit aujourd’hui aux États-Unis après avoir enseigné dans plusieurs universités du Zaïre, passa deux ans (1960-1962) chez les moines bénédictins. Auteur, entre autres, de L’écart et de Le bel immonde, il a indiscutablement fait œuvre utile en écrivant “Entre les eaux” qui, mieux que d’autres essais, aborde la question qui travaille plusieurs chrétiens africains : Comment être un chrétien authentique sans renier l’Afrique ? L’intime conviction de Mudimbe est qu’il n’est pas facile de naviguer, avec bonheur et sans heurt, entre ces deux eaux. Une chose est sûre : que ce soit dans Entre les eaux ou ailleurs, Mudimbe n’a jamais souhaité que le christianisme en Afrique produise et reproduise “des êtres truqués dans un monde truqué”, c’est-à-dire des hommes et des femmes qui répètent machinalement des gestes et des mots qu’on leur a enseignés pour faire marcher une mécanique religieuse mais qui sont incapables de s’indigner et de frapper du poing sur la table quand leur continent est méprisé, agressé et exploité par des pays occidentaux sans morale ni loi au nez et à la barbe des nonces apostoliques (les ambassadeurs du Vatican).

Lorsque la France bombarda et détruisit la résidence du chef de l’État ivoirien en avril 2011, tuant des centaines de jeunes entourant cette résidence à la suite d’un contentieux électoral dont la France n’avait pas à se mêler, seul le cardinal camerounais Christian Tumi éleva une vive protestation sur RFI. Pour lui, les Ivoiriens pouvaient régler leur différend tout seuls et la France devrait cesser de s’immiscer dans les affaires de ses ex-colonies. La plupart des cardinaux, évêques et prêtres africains ne condamnèrent pas cette grave injustice, probablement parce qu’ils ne voulaient pas provoquer la colère de la France et du Vatican qui étaient bien représentés à l’investituture de l’imposteur-tueur. Or l’Évangile, qu’ils sont censés lire et annoncer, leur demandait tout simplement de prendre parti, non pour Laurent Gbagbo, mais pour la vérité et la justice.

Jean-Claude DJEREKE

 

 

 


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