La fermeture des postes frontaliers entre le Bénin et le Nigéria par l’Etat fédéral, depuis le 20 Août dernier, apparaît comme un couperet pour son petit voisin. Elle vient ralentir les transactions commerciales entre les deux pays alors que les autorités invoquent des raisons de lutte contre l’insécurité et la contrebande. Depuis lors, les prix des produits de la contrebande ont flambé ; notamment l’essence «kpayo ». Mais cette décision, au-delà du caractère socioéconomique du commerce de contrebande pour le Bénin, peut-elle s’avérer plutôt salutaire pour le Gouvernement qui entend formaliser le secteur informel ? C’est la grande inconnue.
La dépendance, vis-à-vis du grand voisin de l’Est, est une réalité incontournable que le gouvernement béninois se doit de gérer en bonne intelligence économique. Si l’Etat béninois a été informé de cette décision prise par le Gouvernement fédéral du Nigeria, par contre les différents acteurs frontaliers et les populations des deux pays ne l’ont pas été. Depuis cette décision de fermeture, elles payent pourtant le prix fort.
Conséquences de la décision : déjà de longues files d’attente de camions poids lourds et de camions citernes observées à Sèmè-Border (au Nigéria) de même qu’à Sèmè-Kraké (au Bénin). De l’avis de Lucien Gohoungo, représentant des camionneurs béninois à la frontière, intervenant lundi sur les ondes de la radio nationale : « Il y a plus de 250 camions citernes et camions poids lourds qui sont là ». La plupart des chauffeurs seraient tchadiens, togolais, maliens, burkinabè.
Ces transporteurs sont sur place parce qu’il faut veiller sur les chargements en stationnement et en attente d’une réouverture spontanée. Pendant ce temps, un mini marché s’anime autour d’eux pour les ravitailler en eau, en nourriture et en produits de première nécessité. D’autres se sentent malheureux et pensent être déjà au chômage.
De part et d’autre, la traversée de la frontière à bord d’un véhicule est impossible. Seuls les voyageurs munis de passeports traversent la frontière de 6h à 18h par dérogation et continuent leur voyage avec un autre véhicule. Jusqu’à quand cette situation va-t-elle durer se demandent les différents acteurs des échanges commerciaux entre les deux pays ?
Selon une publication du RFI, le porte-parole des Douanes béninoises, Joseph Attah aurait indiqué que cette situation pourrait durer vingt-huit (28) jours. Il aurait, par ailleurs, précisé que cette opération devait concerner 25 Etats sur les 36 qui composent la fédération nigériane. L’opération se déroule sur toutes les frontières terrestres ouest du Nigeria s’ouvrant sur le Bénin et le Niger ainsi que les frontières maritimes donnant sur le Golfe de Guinée. Sa mise en œuvre a mobilisé l’armée, la police, la douane et les agents d’immigration. Elle viserait à renforcer la sécurité et mener une lutte sans merci contre la contrebande entre les deux pays.
De l’insécurité à la contrebande : quelle marge de manœuvre ?
De source proche de la présidence fédérale, on explique que les autorités nigérianes ont donné l’ordre de fermeture de la frontière pour des raisons d’insécurité. Selon le Gouvernement nigérian, « les terroristes passent par le Bénin pour s’infiltrer dans le pays. Je t’apprends que l’insécurité a atteint une proportion très alarmantes au Nigeria» rappelle un confrère nigérian joint au téléphone. Les allégations de contrebande auraient été d’ailleurs confirmées, lundi dernier, par le ministre nigérian de l’Agriculture, rappelle la même source.
En effet, la décision de fermeture est intervenue peu avant la nomination du nouveau ministre de l’Intérieur nigérian, Rauf Aregbesola, qui a pris fonction le 22 Août dernier. Opérateurs économiques, commerçants nigérians s’appuieraient désormais sur le nouveau ministre de l’Intérieur qui, étroitement, travaillerait avec la présidence fédérale pour établir les dispositions sécuritaires à prendre, face à l’insécurité et la persistance du flux des produits de contrebande à travers les frontières.
Nul doute que cette situation va paralyser l’activité économique très dépendante du grand voisin de l’Est au Bénin : le trafic de véhicules d’occasion se trouve bloquer de même que la réexportation des produits d’importation comme le riz, l’huile, les volailles (produits carnés), etc, qui alimentent la contrebande très réprimée par le Gouvernement nigérian et le trafic des produits pétroliers (l’essence et le gaz oil) qui entretiennent le secteur informel au Bénin.
Selon nos sources, certains opérateurs économiques nigérians s’insurgent contre cette mesure coercitive. C’est le cas par exemple du « Complexe Trade Fair » une grande société de produits cosmétiques basée à Lagos – où se ravitaillent des commerçants béninois et togolais – qui aurait noté, en quelques jours, une baisse drastique de son chiffre d’affaires.
Face à cette situation morose, la société civile nigériane entend donner un temps d’observation au Gouvernement fédéral ; seul l’Avocat- activiste, nigérian, Femi Falana a condamné cette fermeture. Selon lui, c’est une atteinte à la liberté des Nigérians. «Cette mesure va à l’encontre du principe de la libre circulation des personnes et des biens préconisé par la Communauté Economiques des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), a-t-il précisé.
Du côté du Bénin, les médias et quelques experts se prononcent sur cette décision de fermeture. Les activités économiques sont au ralenti, puisque les transactions routières sont au point mort. Au marché Dantokpa, les prix de certains produits et denrées commencent par flamber ; les vendeuses avancent les raisons de fermeture de frontière pour justifier cette montée des prix. En ville comme à l’intérieur du pays, les prix de l’essence de contrebande a doublé passant de 325 f à 500 ou à 700f le litre le weekend dernier avant de redescendre à 450f à 500f le litre. Les cambistes aussi se plaignent de la montée du taux de change.
En effet, cette décision de fermeture – qui vise à renforcer la sécurité transfrontalière à travers la lutte contre le terrorisme, le banditisme, la prolifération des armes, la contrebande, le trafic de faux médicaments et autres produits prohibés- pourrait, à bien des égards être bénéfique pour l’économise béninoise en quête d’une plus grande formalisation des activités commerciales et des échanges transfrontaliers. Un couteau à double tranchant pour le Bénin et son grand voisin. Ils ne peuvent ignorer l’ampleur et l’impact de l’informel sur leur économie respective.
Selon une étude du Commerce extérieure en 2016, le ralentissement économique du marché nigérian (contraction du PIB de -1,75% en 2016) et la dévaluation du Naira en juin 2016 ont fortement réduit l’activité portuaire, autant que les importations du Bénin, dont une partie importante est destinée à de la réexportation informelle vers le Nigéria.
Hors importations de riz qui ne concernent que pour une infime partie la demande intérieure béninoise, les importations ont diminuée de -7,5%. Les produits des industries alimentaires sont le premier poste d’importation avec 1 117,3 M€ (+25,7 %), soit 47,0 % des importations.Ce poste est fortement augmenté par les importations de farines, céréales transformées et produits amylacés (726,7 M€), dont la majeure partie (690 M€) correspond à du riz importé de Thaïlande (464 M€) et d’Inde (219 M€), avec comme destination finale le Nigéria (réexportation). Suivent les produits raffinés des hydrocarbures à 336,8 M€ (+14,2 %), en provenance de la région ARA (Amsterdam-Rotterdam-Anvers, dont 74,8 M€ pour les Pays-Bas et 26,6 M€ pour la Belgique), souvent en transit depuis le Togo voisin (28,2 M€) via des opérations de transfert « ship-to-ship ». Les viandes et produits carnés (160,4 M€, -26,2 %) et autres produits alimentaires (56,7 M€, -12,4 %) sont des produits de réexportation qui ont été fortement contraints par le ralentissement économique nigérian et la dépréciation suivie d’une dévaluation du naira en juin 2016 (-36%). Parmi les produits les plus emblématiques de ce commerce de réexportation, les importations de volailles congelées sont en forte diminution à 66,4 M€ contre 104 M€ en 2015, soit une baisse de -36,4 %. La hausse des importations de véhicules automobiles, à 121,2 M€ (+9,8 %) est à première lecture surprenante, alors que les volumes d’importation de véhicules au Port Autonome de Cotonou (majoritairement destinés à la réexportation) sont en forte diminution, et ne représentent que le tiers du volume d’importations constaté en 2015. Il est possible que les véhicules ne pouvant être réexportés vers le Nigéria aient été dédouanés et vendus au Bénin, Les importations de motocycles sont pour leur part en diminution (53,1 M€, – 7,8 %). Les produits chimiques (140 M€, en hausse de 6,1 %), sont composés principalement de produits pharmaceutiques (74,3 M€, en hausse de 4,5 %), dont une majorité (58,9 M€), provient de France. Les produits chimiques de base (35 M€, en hausse de 46 %) sont principalement constitués d’engrais en provenance du Maroc. Les exportations d’huiles (de palme, de coton, végétales…), tourteaux (résidus solides, coproduits de fabrication de l’huile), et corps gras représentent 30,4 M€ de recettes d’exportations, en hausse de 4,6 % (principalement à destination du Nigéria). Pour ne citer que ceux-là…. (Source : https://www.tresor.economie.gouv.fr/Ressources/14105_benin-commerce-exterieur-2015)
Article bien rédigé et excellemment documenté!