Le Dahomey d’hier, le Bénin d’aujourd’hui a bel et bien une histoire qui doit être contée aux générations futures. Dénouer fil par fil, l’écheveau de la complexité des faits et événements passés permet non seulement à la vieille élite – qui hier était aux affaires – de faire une analyse holistique du passé ; mais également à la jeune génération – qui ambitionne le pouvoir politique – de s’aguerrir afin de mieux faire que par le passé et d’éviter les mêmes erreurs que ses aînés. La date du 26 Octobre 1972 marque le début d’une histoire politique d’un homme d’Etat, « Notre Grand Camarade de lutte » d’alors, le Général Mathieu Kérékou. Le mercredi 14 Octobre dernier, il s’est éteint, nous appelant à écrire ou à revisiter l’histoire.
Aline ASSANKPON
« En 1988, des travaux d’investigation nous ont conduits à faire une publication sur la date souvenir du 26 Octobre 1912 – 26 ans après la révolution – dans le journal intitulé » Le Citoyen » n° 584 du Lundi 26 Octobre 1988- Page 4. La reprise de certaines parties de cette publication nous permet aujourd’hui de réécrire cette histoire ».
D’entrée de jeu, le Dahomey est né et entré dans le droit international le 22 juin 1894 par la publication d’un décret signé par le président français Sadi Carnot. C’était donc un pays artificiel mis en place par une autorité politique étrangère en fonction d’objectifs et d’intérêts précis. Fort heureusement la cohabitation s’est déroulée sans grands heurts puisqu’on était encore sous le joug colonial.
A l’accession du Dahomey à la souveraineté nationale, le 1er Août 1960, les acteurs de la vie politique n’ont pas fait de l’inscription de la démocratie dans la durée, leur objectif essentiel malheureusement. Pour preuve, trois ans après cette indépendance, le 28 octobre 1963, le Colonel Christophe Soglo, chef d’état-major des Forces armées dahoméenne (FAD), par un coup d’état, prit le pouvoir des mains des autorités régulièrement élues par le peuple et légalement établies.
Suivra pratiquement tous les deux ans, une kyrielle de coups d’état : « 22 Décembre 1965« ; « 17 Décembre 1976« ; « 10 Décembre 1969« et enfin celui du « 26 Octobre 1972« . D’où la qualification du Dahomey de « l’enfant malade de l’Afrique ».
Proclamation de la révolution
Le jeudi 26 Octobre 1972, le régime du Conseil présidentiel a été renversé vers 14h30. Comme une traînée de poudre, la rumeur s’est répandue à travers la ville de Cotonou. L’encadrement et l’occupation du palais de la République s’expliquaient semble-t-il par la présence à cette heure-là, du Conseil présidentiel et des membres du gouvernement qui, y tenaient leur Conseil des ministres hebdomadaire.
Selon les témoignages du journal du service public « Daho Express » (actuel « La Nation »), les artères menant au palais présidentiel était interdites à la circulation par des chars et jeeps dont les armes étaient pointées sur le palais présidentiel.
A 15 heures, une voix que les observateurs s’accordaient à reconnaître comme celle du Commandant Mathieu Kérékou, lut la proclamation radiodiffusée. Le Conseil présidentiel « le Monstre à trois » tel qu’il était désigné à l’époque, venait d’être dissous. Le Gouvernement militaire révolutionnaire (GMR) prenait ainsi le pouvoir qui était dirigé par lui-même.
Des trois membres du Conseil présidentiel, deux étaient présents sur le territoire au moment du Coup d’Etat : le président Hubert Maga dont le mandat de deux ans à la tête du pays a expiré le 07 mai 1972 et le président Justin Tometin Ahomadégbé en exercice depuis le 07 mai 1972. Quant au président Sourou Migan Apithy, il était en congé en France depuis le 27 septembre 1972.
Pour le jeune Commandant Mathieu Kérékou, le Conseil présidentiel ne peut réaliser les nobles objectifs qu’il s’est assignés dans le préambule de la Charte de Savè. Charte qui stipulait en ces termes : «Affirmons notre ferme volonté de réaliser l’Unité nationale, de réconcilier les fils de ce pays et d’assurer à notre commune patrie, la stabilité nécessaire et indispensable à son développement économique et social »…. « Condamnons l’arbitraire, l’injustice, la corruption, la concussion, le régionalisme, le népotisme » avait-il déclaré en promettant des réformes au sommet de l’Etat.
Consécration des trois glorieuses
Bien évidemment des périodes de mutations et de changements d’option ont suivi. Nous retiendrons entre autres les dates suivantes :
- 30 Novembre 1972 : une date qui a consacré la mise en œuvre conséquente d’une nouvelle politique d’indépendance nationale : un vaste programme anti-impérialiste de construction nationale.
- 30 Novembre 1974 : l’affirmation officielle à Goho de la volonté inébranlable et la farouche détermination des travailleurs à s’engager dans la voie du développement : le Socialisme scientifique basé sur la philosophie du Marxisme-léninisme.
- 30 Novembre 1975 : Changement du nom du pays : Le Dahomey s’en va pour laisser place à la République Populaire du Bénin (RPB) avec le changement du drapeau tricolore (Vert-Jaune-Rouge) par un drapeau vert frappé d’une étoile rouge à l’ange gauche.
- 30 Novembre 1977 (Mercredi), date du 2ème anniversaire de la fondation de la République (RPB) ; les trois glorieuses sont désormais célébrées. Il s’agit du : 30 Novembre 1972 ; 30 Novembre 1974 et 30 Novembre 1975.
Selon le Commandant Kérékou, le nom « Bénin » a été pris en toute souveraineté sur des bases scientifiquement fondées et historiquement incontestables. « Ce nom évoque le passé glorieux des ancêtres et les traditions multiséculaires d’une brillante et grande civilisation comme par le passé, dans la sous-région appelée « Golfe du Bénin » » avait-il justifié.
Naissance du PRBP
A l’instar du 30 Novembre, les Béninois célébraient également d’autres dates mémorables ; notamment :
- 16 janvier 1977 : Agression impérialiste ; le Bénin fut envahi par une horde de mercenaires. Grâce à l’habilité indéfectible du peuple béninois, ces mercenaires n’ont pu atteindre leur but et ont rebroussé chemin. Le but visé : prendre le pouvoir. Le slogan d’alors était : « La patrie ou la mort…Nous vaincrons ! ».
- le 26 Octobre 1977, a été décrété : Journée immortelle des Forces armées populaires (FAP) : Cinq ans après la prise du pouvoir par le GMR, un parti du type nouveau est née : le Parti des couches sociales, des opprimés et des plus exploités ; le Parti de la Révolution populaire du Bénin (PRBP). Le GMR y consacra pour la postérité, un sens profond, une signification réelle et une portée historique du grand événement du 26 Octobre 1972 qui marque désormais la journée immortelle des FAP de la République populaire du Bénin.
Selon « Notre Grand Camarade de lutte, le Commandant Kérékou, « Les FAP se sont révélés dignes instruments de notre laborieux peuple en renversant le 26 Octobre, le monstre hideux à trois têtes, pompeusement baptisé : Conseil présidentiel qui servait de support à la domination étrangère impérialiste… ».
Dès lors, les FAP avaient pour rôle « d’appuyer solidement le gouvernement et de protéger les masses populaires dans tous leurs efforts pour faire comprendre à fond et sainement le contenu de la Loi fondamentale de 1977 (Ndlr : la Constitution d’alors) ; en vue de son application scientifique et servir fidèlement dans tous les domaines, les intérêts légitimes des classes et couches exploitées de la République populaire du Bénin… ».
Sous la révolution, il s’agit des phases capitales immortalisées dans la mémoire des Béninois (dignes fils de la nation) depuis la consécration solennelle du Comité central du Parti d’avant-garde, le Parti de la Révolution populaire du Bénin (PRPB). Tous les ans, on célébrait les trois glorieuses sont célébrées comme une fête nationale le 30 Novembre et 26 Octobre (Fête des FAP). La dernière célébration date du samedi 26 Octobre 1989 puisque le rideau se fermait déjà sur cette période révolutionnaire.
Encadré-1 : Le renouveau démocratique sonna le glas de la révolution
A la fin des années 80, l’Etat révolutionnaire fut confronté par un marasme économique sans précédent. Le système politique essoufflé, était en faillite. Les derniers remparts de la révolution devraient tomber pour laisser place au Renouveau démocratique proclamé à l’issue de la Conférence des Forces vives de la nation convoquée par le Gl Mathieu Kérékou.
Le régime du Commandant Kérékou qui – progressivement est devenu Lieutenant Colonel et Général d’armée – a connu d’énormes difficultés économiques : incapacité de payer les salaires des travailleurs, la pension des retraites, faillite du secteur nationalisé (sociétés d’Etat et banques…
A cette crise économique grave, s’est ajoutée une crise sociale et politique qui appelaient à un virage radical : le recours aux Institutions de Bretton Wood (FMI et Banque mondiale) apparaissait inévitable.
A l’appel du président de la République, le peuple a répondu pour boucher de ses doigts, la jarre trouée, du Roi Ghézo. Tous les fils du pays et la diaspora ont répondu à cette invitation. Du 19 au 28 Février 1990, le sort d’un régime – qui pendant 17 ans a dirigé d’une main de fer le pays – a été scellé par les décisions issues de la Conférence nationale. Un processus démocratique est mis en branle battant en brèche tous les acquis de la révolution.
Puisque les décisions de la conférence sont souveraines, un comité composé de haut cadres, juristes et constitutionnalistes a été porté sur les fonds baptismaux dénommé : Haut Conseil de la République (HCR) qui avait pour prérogative, la rédaction de la Constitution du 11 Décembre 1990.
Au cours des travaux, il s’est agi non seulement de changer le système politique en cours mais d’instaurer une nouvelle ère, celle du renouveau démocratique avec le multipartisme intégral.
A l’issue de cette conférence, Nicéphore Dieudonné Soglo, ancien administrateur de la Banque mondiale fut désigné Premier ministre du Gouvernement de transition mis en place pour une durée d’un an. Le pays fut rebaptisé « République du Bénin » avec le retour de l’ancien drapeau tricolore de l’indépendance. (A.A.)
Encadré-2 Le retour aux affaires du Général, le prix de l’humilité.
Eu égard à tout ce qui précède, un référendum a été organisé en 1991 par le Gouvernement de transition. 34 partis politiques se sont faits enregistrés. Des élections législatives et présidentielle de mars 1991, Nicéphore Dieudonné. Soglo sorti vainqueur avec les 2/3 des suffrages exprimés. Mathieu Kérékou accepte le verdict et se retire de la scène politique.
Cinq ans après le premier régime démocratique dirigé par Nicéphore Soglo, le Général Kérékou, comme un sphinx, renait de ses cendres. Puisque sollicité et soutenu par certains politiciens qui croyaient encore en lui ; il revient alors aux affaires par les urnes pour diriger le pays durant deux mandats (10 ans).
L’homme charismatique, fut humble. Une humilité, dont il avait déjà eu à faire preuve à plusieurs occasions : à la Conférence nationale ; au 8ème Sommet des Chefs d’Etat de la Francophonie à Cotonou en 1995 où l’ancien président Jacques Chirac était témoin de certains errements. L’homme savait garder son silence et son calme devant des situations où d’autres allaient répondre du tac au tac. C’était le prix de l’humilité !
Auréolé par cette reconnaissance, l’homme devrait revenir aux affaires pour pratiquer le régime démocratique dont il fut le précurseur. C’était la reconnaissance des Béninois, pour lui dire : « qu’il était un véritable dirigeant ». Ce qui lui totalise un règne de 27 ans à la tête du notre pays, le Bénin. Un record qu’aucun président béninois n’a jamais égalé. Il était né pour régner, l’enfant de Kuarfa (son village natal). (A.A.)
Encadré-3 :« … Moi je gagne 15F, c’est ma solde… »
Cette histoire de la révolution d’Octobre 1972, nombreux sont les Béninois de notre génération et celle qui cous précède la connaisse gravée dans leur mémoire de puis les bancs de l’école, sous le règne de la fameuse « Ecole nouvelle ».
Les couvre-feux répétés, les slogans, chants et marches révolutionnaires que nous devions à tout prix maîtriser à l’école, les discours radiodiffusés étaient révélateurs.
A ce jour, certaines phrases de ces fameux discours sont encore vivaces, gravées dans ma mémoire ; notamment : « …Moi je gagne 15 F par mois, c’est ma sole et elle me suffit ; mais je veux que tu saches, qu’il y a trois hommes, trois politiciens, qui gagnaient chacun respectivement 25 F par mois. Désormais les 75 F resteront dans les caisses de l’Etat… » ; « …. La branche ne se cassera pas dans les bras du Caméléon, le Dahomey sera commandé et dirigé par le GMR… ». C’était juste au lendemain de sa prise de pouvoir.
A l’école, à chaque visite d’une autorité ou aux cérémonies du drapeau, des slogans révolutionnaires sont scandés et ceci dans toutes les langues nationales : « Pour la révolution…Prêt ! Pour la révolution…Prêt ! Prêt pour la révolution et la lutte continue ! » ; « Ehuzu, Dan Dan ! » ; « Etro, Kokoko ! » ; « Abèrè, Kuru Kuru » ; « Isséo, Sukatina, Sukatina Sékoussé ! « Bénin gana babori, Man Man Man ! » ; «L’impérialisme, A bas ! » ; « Le népotisme, A bas ! » ; « La patrie ou la mort…Nous vaincrons ! ». « Gloire, Au peuple ! Pouvoir, Au peuple ! Tout le pouvoir, Au peuple ! » ; Gloire immortelle, A la patrie ! » C’était au lendemain de l’agression impérialiste.
Pour ce qui concerne les marches, il y avait les COF (Comité d’organisation des Femmes) et les COJ (Comité d’organisation des Jeunes) dans lequel je fus enrôlée en 1981 alors que j’étais déjà au collège. A cette époque-là, il fallait maîtriser tous les chants révolutionnaires. C’était quand-même des souvenirs mémorables. (A.A.)
Encadré-4 : Tout n’était pas rose, mais tout n’était pas non plus mauvais…
« L’Ecole nouvelle » initiée par la révolution avait introduit dans le système éducatif, l’artisanat et l’agriculture. Une sorte d’initiation à l’entreprenariat car l’Etat était conscient qu’il ne pouvait pourvoir à l’emploi de tous les diplômés.
L’emploi du temps des écoliers et collégiens était élaboré en tenant compte de ces exigences où nous devions nous adonner à la pratique culturale, à l’agriculture, à l’artisanat et à toutes sortes d’activités relevant de la puériculture (couture, tricotage, etc) et de l’enseignement ménager (cuisine et autres). Pour certains, ces programmes d’activités ont contribué à aliéner le système éducatif sanctionné par un diplôme nationalisé, le CEFEB (l’actuel CEP). Pour d’autres, les maux de l’éducation doivent être cherchés ailleurs.
Aujourd’hui, à titre comparatif avec le « Nouveau programme d’approche par compétence », nous pouvons – sans risque de nous tromper – affirmer que le CEFEB avait eu le mérite de maintenir la dictée préparée inculquée aux écoliers dès la classe du CP jusqu’à la classe du CM2 avec la dictée matinale. Même si le programme d’enseignement de « l’Ecole nouvelle » paraissait faible, il était encore meilleur par rapport à ce qui est enseigné aujourd’hui à nos enfants et nos petits-enfants qui écrivent au son surtout avec l’avènement des messageries et des « textos ».
Les réactionnaires étaient sous des braises…
Cependant on ne peut pas occulter que la révolution a fait des victimes ; puisque les opposants du système étaient désignés « Réactionnaires », emprisonnés et torturés ; ce qui a fait bon nombre d’exilés politiques à l’époque. «Les murs ont des oreilles » disait-on. La liberté d’expression et de presse était inexistante. Le peuple était comme maintenu dans des liens inimaginables. Au lendemain de la conférence nationale, les langues s’étaient déliées, la joie se lisait sur tous les visages. La liberté d’expression et de presse devient une réalité avec la naissance d’une kyrielle de journaux qui a aboutit à la démonopolisation des ondes.
En somme, le système avait aussi le mérite de révolutionner certains comportements et tares que notre administration et nombre de citoyens entretiennent aujourd’hui : l’incivisme qui fait le lit de l’individualisme au détriment du patriotisme. (A.A.)
« Adieu le Général!
Tu as combattu le juste combat.
Va, Vaillant combattant et que ton âme repose en paix!
Aline. A.