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Enquête / Culture intensive de l’ananas et défi environnemental au Bénin : Les paradoxes d’une filière porteuse


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Au Bénin et en particulier sur le plateau d’Allada dans le département de l’Atlantique, s’est développée une culture intensive de l’ananas destinée en grande partie au marché régional et international. Malheureusement, le constat est que cette pratique agricole, en dépit de tout l’espoir qu’elle suscite, du fait des revenus monétaires directs et des devises importantes qu’en tirent respectivement les populations et l’Etat, est loin de créer des conditions favorables au développement durable. Au contraire, elle participe largement à la fragilisation du milieu, tant sur le plan humain que physique.

Tout comme s’il se mettait à l’abri des regards envieux, Sossou, le dos légèrement vouté et tourné à l’assistance, finit de faire ses comptabilités et s’enthou­siasme : « Le compte est bon madame, je m’arrangerai pour vous offrir davantage d’ananas la saison prochaine ! ».

C’est le résultat de quinze mois de dur labeur et d’attente angois¬sante.

C’est le résultat de quinze mois de dur labeur et d’attente angois¬sante.

Aussitôt, une camionnette chargée à ras bord de “pains de sucre” -désignation très répandue de la variété d’ananas appe­lée Abacaxie – s’ébranle en direction de Cotonou. Sossou vient ainsi de remplir la part de son contrat de vente por­tant sur environ 12 tonnes de cette variété d’ananas, fort appréciée sur le marché, en raisonde sa teneur en sucre et de sa résistance aux avaries. Cette livraison provient d’une plantation de 0,4 hectare sise à Tangbo-Djêvié,dans la com­mune d’Abomey-Calavi. C’est le résultat de quinze mois de dur labeur et d’attente angois­sante. L’air rassuré et péremp­toire après ce contrat réussi, Sossou livre ses sentiments : « Pour moi, c’est très agréable et plus épanouissant de s’offrir du pouvoir d’achat par l’ana­nas que de s’engouffrer dans une production vivrière qui ne fait de vous qu’un “mange-mil” privé de toute initiative de pres­tige, alors que la vie c’est aussi cela ». Joie légitime d’un agri­culteur qui vient de réussir un contrat, mais il y a un hic !

L’ananas, une menace pour la sécurité alimentaire ?

En effet, selon Henri Bos­soukpè, un encadreur agri­cole à la retraite et natif de ce village, c’est justement cela le problème. La flambée des prix actuellement observée au niveau des produits vivriers procède de ce raisonnement tout à fait compréhensible des paysans. Faisant le parallèle entre la production du coton au nord et celle de l’ananas au sud, il explique que ces deux cultures, parce que financiè­rement plus rentables, garan­tissent aux paysans, un pou­voir d’achat qui leur permet d’avoir plus facilement accès aux biens de consommation importés. Cela fait, dit-il, que Zê, Abomey-Calavi, Allada et Toffo, jadis principales Com­munes productrices de vivriers, se sont fortement spécialisées en ananas dont la culture, très vorace en espace et en main-d’oeuvre plus rémunératrice, concurrence gravement la production vivrière. Par consé­quent la sécurité alimentaire de tout un peuple – ces paysans y compris- s’en trouve mena­cée. Même notre petit planteur d’ananas, Sossou, confirme cet état de fait en reconnaissant ne plus produire les cultures vivrières que pour sa propre subsistance. Il précise qu’il va se ravitailler sur le marché dès que son stock familial de pro­duits vivriers s’épuise.
Ainsi, pour avoir choisi de se donner une émancipation fi­nancière par l’ananas, de plus en plus de paysans de cette ré­gion du Bénin affaiblissent sen­siblement l’offre de vivriers et contribuent à en augmenter la demande, en allant s’approvi­sionner eux- aussi sur le même marché pendant la période de soudure. Il s’ensuit un ren­chérissement du coût de ces produits,érodant le panier de la ménagère.

 

« J’ai choisi cette option parce que c’est plus facile d’acheter du maïs que d’en produire»

« J’ai choisi cette option parce que c’est plus facile d’acheter du maïs que d’en produire»

L’ananas, entre création d’emplois et insécurité sociale

Plutôt que de s’en plaindre,Ouinsou, un autre petit producteur de Kpanroun dans la commune de Zêironise : « J’ai choisi cette option parce que c’est plus facile d’acheter du maïs que d’en produire». A la question de savoir ce qu’il adviendrait des autres couches vulnérables de la communauté que sont les personnes âgées et les jeunes démunis, il plai­sante : « L’Etat doit s’en occu­per, car c’est surtout cela la prospérité partagée ».
Mais dans le fond, Ouinsou feint simplement d’esquiver une situation sociale dont il garde de très mauvais souve­nirs : « Pendant longtemps j’ai produit des vivriers sans pour autant jamais parvenir à amé­liorer ma condition sociale, faite de dettes et d’humiliations diverses. Tant, mes productions étaient vendues presque sans bénéfice». Au souvenir de cette époque l’émotion lui monte à la gorge. Les yeux larmoyants et la voix tremblotante, il pour­suit : « Cela a duré jusqu’au jour où Toviho, mon beau-frère m’a convaincu de vendre deux des trois lopins de terre que j’ai reçus en héritage de mon père pour me lancer dans la culture de l’ananas. Eh oui, Ouinsou a dû se déposséder de presque tout son trésor pour s’offrir un train de vie longtemps recher­ché. Pour combien de temps encore ? Et qu’en serait-il de sa progéniture, nombreuse de dix enfants dont sept garçons, à qui il n’aurait à léguer que le seul lopin restant si la situation ne s’améliorait pas ? A ces ques­tions embarrassantes, il pouffe de rire et s’en remet à Dieu.

Pour l’ancien moniteur agricole, c’est là que se joue le destin de la jeunesse rurale de ce pla­teau. A ces yeux, l’accapare­ment croissant des terres par le secteur capitaliste, majori­tairement aux mains des gros producteurs d’ananas ne laisse aucune chance de promotion sociale à cette jeunesse. Par conséquent, n’ayant ni l’espoir d’hériter des superficies viables, ni la possibilité de recevoir une formation ou d’apprendre un métier, cette jeunesse s’adapte alors tant bien que mal à la vie rurale en vendant sa force de travail chez ces gros planteurs d’ananas.

En effet, cette alternative est bien celle de Dandjinou, envi­ron la vingtaine, ouvrier agricole résidant à Agbodjèdo dans la Commune de Zê. Sur un ton visi­blement désespéré, Dandjinou s’exclame : « Nous ‘’les sans terre’’, nous sommes condam­nés à ce travail qui certes, nous permet juste d’exister, mais n’offre en revanche à notre descendance aucune garantie réelle de grimper l’échelle so­ciale. Il ne croit pas si bien dire. Car la situation de beaucoup d’autres jeunes de son âge pa­raît sans issue. La démotivation se lit sur leur visage. Ceux qui n’ont même pas cette chance d’être des employés agricoles occasionnels, et qui sont, par ces temps, violemment répri­més pour cause de vente de l’essence de contrebande, sont voués à l’oisiveté et la pauvreté. Il s’ensuit pour la communauté villageoise, et par ricochet pour tout le pays, une insécurité so­ciale caractérisée par la délin­quance, le banditisme et autres déviances sociales. Le taux de criminalité grandissant de nos jours y trouve une part d’expli­cation.

Au regard de ce qui précède, le défi social lié à l’expansion de la culture de l’ananas est donc réel. Il est d’ailleurs conforté par un autre plus physique, le défi environnemental. En effet, selon l’Agence de Presse Afri­caine (APA), le gouvernement du Bénin s’est fixé depuis 2008, l’objectif d’atteindre un tonnage record de plus de 600 mille tonnes d’ananas-export à l’hori­zon 2017, contre environ 120 mille tonnes en 2006. L’ambi­tion est noble et légitime. Seu­lement pour produire une telle quantité d’ananas, il faut embla­ver plus de terre. Or, la seule région du Bénin qui se prête le mieux à cette ambition eten raison de la qualité très recher­chée de l’ananas qui s’y cultive, est le plateau d’Allada ;une ré­gion du Bénin qui, du fait de sa petitesse, ploie déjà sous une pression démographique crois­sante dont les conséquences sur les ressources naturelles deviennent inquiétantes.

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L’ananas, une menace pour les ressources naturelles

A ce sujet, Christophe Cocou­Tossou, spécialiste en amé­nagement et gestion des res­sources naturelles constate que la culture rentière de l’ananas, du fait de sa durée moyenne d’occupation du sol trop longue (2,7 ans), entame sensiblement la disponibilité en terres culti­vables et compromet la pra­tique de la culture itinérante en réduisant de façon drastique les temps des jachères. Déjà en 2001, eu égard aux résultats de ses travaux de recherche relatifs à‘’l’impact de la culture de l’ananas sur l’environnement dans le département de l’atlan­tique’’, recherche menéesous la direction de Brice Sinsin, actuel Recteur de l’Université d’Abomey-Calavi,ce spécialiste tirait la sonnette d’alarme en ces termes : « … La culture de l’ananas en pleine expansion dans l’Atlantique présente des risques de dégradation irréver­sible des ressources naturelles, car elle mine le sol et provoque une destruction du couvert vé­gétal par essouchage et la perte de la biodiversité biologique par destruction des habitats floris­tiques et fauniques ».

Sur l’une des plantations indus­trielles de la zone, le constat est édifiant. Un bloc d’environ 200 hectares de déboisement total donne le tournis. Les gros attelages, équipements mécaniques et autres engins lourds stationnés sur un par­king, donnent la mesure des grands travaux qui s’y font. Sur les lieux, Robert, un conducteur d’engin lourd, visiblement fier de son job, mais très peu soucieux de l’enjeu environnemental, se prête volontiers aux questions: « Ici vous avez l’essoucheuse, elle débarrasse le sol des ra­cines indésirables. La charrue à soc que voici ameublit le sol et cette charrue à herse l’apla­nit. Cet équipement que vous voyez ici coûte plus de quinze millions de francs CFA ; c’est un pulvérisateur moderne qui fonctionne à partir d’un forage destiné à l’irrigation de toute la plantation. Dans ce magasin-ci nous disposons d’un ’’petit’’ stock d’engrais et de pesticides pour l’amélioration du sol et le traitement de nos ananas ». Il y a de quoi s’enorgueillir effec­tivement.

Cependant, des études de spé­cialistes révèlent que ce type de déploiement mécanique et chimique contribue insidieuse­ment à la dégradation de l’envi­ronnement. Par exemple, pour des besoins d’ensoleillement des ananas, le vaste déboise­ment fait disparaître des es­pèces fauniques et floristiques ; l’utilisation des gros engins mécaniques fragilise la struc­ture du sol et le rend vulnérable à l’érosion ; l’usage insuffisant des intrants chimiques large­ment répandu dans la zone – et l’on comprend pourquoi le stock d’engrais était petit -appauvrit le sol.

D’ailleurs, sur ce der­nier point, l’environnementa­liste Christophe Tossou (2001), fustige le fait que la plupart des producteurs d’ananas dans cette région font leur fortune au détriment de la fertilité des terres, les bilans minéraux et organiques liés à cette culture étant déficitaires selon lui. Néanmoins, il dit comprendre leur attitude, car : « Si les pro­ducteurs d’ananas restituaient au sol ce qu’ils en extrayaient du fait de cette pratique, beau­coup d’entre eux cesseraient de faire des bénéfices ». De ce point de vue, il en irait de même de cette petite unité de transfor­mation d’ananas en jus et sirop si l’énergie d’origine végétale utilisée était à son coût juste.

En effet, Aline, la trentaine, est chef section approvisionnement dans cette usine. Elle déclare qu’environ 1000 sacs de char­bon de bois lui proviennent chaque trimestre de la région centrale du Bénin pour trans­former à peu près 50 tonnes d’ananas soit l’équivalent du rendement moyen de 1 hectare de plantation d’ananas dans la zone. Ces chiffres 1000, 50 et1, à priori n’ont l’air de rien. En revanche, ils prennent tout leur sens lorsqu’on les affuble d’autres plus percutants comme ceux que nous livre ci-après Hilaire Atchou, un exploitant forestier : « Suivant les normes d’exploitation forestière, 1000 sacs de charbon correspondent à une moyenne de 376 m3 de bois de teck, l’équivalent de 2,8 hectares de plantation de teck». A l’analyse, ces chiffres révèlent que sur une année d’exercice, cette usine, en transformant les ananas issus de 4 hectares de déboisement dans le départe­ment de l’Atlantique pour cause de plantation, contribue indirec­tement à une déforestation de 11,2 hectares de plantation de teck dans celui du Zou. Cela veut dire qu’à l’échelle régio­nale, l’ananas, sur le plan envi­ronnemental, crée moins de valeur qu’elle n’en détruit. Car, même sa valorisation, comme c’est le cas dans cette usine de Togoudo, ne s’inscrit pas non plus dans une logique de déve­loppement durable.

 

L’ananas au sud comme le coton dans le nord
Par ailleurs, sur notre planta­tion industrielle, un autre fait édifiant retient l’attention. Il s’agit du paillage en plastique abondamment utilisé. Patrice, un technicien des lieux, recon­naît que cette mesure apporte une certaine couverture au sol pour lui permettre de résister à l’érosion et les stress d’ori­gine hydrique et thermique auxquels il est soumis. Faisant allusion aux dures réalités sur ce vaste chantier, il renchérit : « Même nous travailleurs, en dépit de toutes nos précau­tions, nous déplorons souvent l’incandescence du soleil ainsi que la violence du vent et de la pluie contre lesquelles nous sommes, à vrai dire, sans dé­fense. L’arbuste le plus proche pouvant nous tenir lieu d’abri de fortune se trouve parfois à plus d’un kilomètre ».
Un tel aveu d’impuissance face à un défi environnemental aus­si avéré laisse penser qu’il n’est peut-être pas exagéré de dire qu’au Bénin, toutes proportions gardées, les inquiétudes soule­vées par la culture spéculative de l’ananas dans le Sud res­semblent étrangement à celles liées à la culture du coton dans le Nord où elle est presqu’à la limite du tolérable, si l’on tient compte des signes annoncia­teurs de la désertification dans cette région du pays.

 

Il y a de quoi s’enorgueillir effec¬tivement.

Il y a de quoi s’enorgueillir effectivement.

L’espoir est permis, des solutions existent…

L’ananas est une filière porteuse et un espoir pour les Béninois qui veulent faire leur prospé­rité et celle du Bénin, à travers le secteur agricole. Il existe donc une porte de sortie face aux inconvénients liés à la pratique culturale en cours pour cette production. A la vérité, quoique peu réaliste aujourd’hui, l’une des solutions à tous ces défis environnementaux et sociaux résultant de la culture de l’ananas, réside dans l’application de la loi n° 98-030 du 12 février 1998 portant Loi-cadre sur l’environnement en République du Bénin. Basée sur le principe du ‘’pollueur-payeur’’, cette disposition pourrait amener un jour tous les acteurs du développement à oeuvrer pour qu’il soit véritablement durable. Ce chemin paraît peut-être long, mais c’est celui de la sauvegarde du patrimoine naturel du Bénin.
Par exemple, dans l’esprit d’un début d’application de cette loi cadre, les producteurs pourraient se prévaloir du projet ‘’Dix millions d’âmes dix millions d’arbres’’ pour investir dans le reboisement massif du bassin de l’ananas. Ils feraient également oeuvre utile en s’orientant vers la culture de l’ananas biologique, une culture qui, depuis 2003, a commencé à s’implanter progressivement au Bénin sous la bannière de deux organisations suisses : Claro et Helvétas.
En effet, cette culture biologique de l’ananas est d’ailleurs financièrement plus rentable et présente moins de risque écologique que la culture conventionnelle. Pour l’ananas biologique, l’usage des intrants chimiques est proscrit, et à sa place l’utilisation des fertilisants naturels est une exigence incontournable. En ayant une vision progressiste du développement durable, autour de cette filière, les paysans pourraient en tirer davantage de bienfaits. Ils préserveraient ainsi l’économie nationale et locale des dangers d’une monoculture qui sera à risque, tant que la même pratique culturale sera maintenue. Il y a là, un choix à faire au niveau de la politique agricole du pays qui incombe à l’Etat régulateur qui est tout autant concernés que les producteurs.

Romuald Kpogueh (Coll.-L’Autre Quotidien)


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