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À la (re)découverte de la littérature africaine :“Le Monde s’effondre” de Chinua Achebe


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Ph: DR-: Le monde s’effondre en anglais (Think fall aparts) de Chinua Achebe

Chinua Achebe avait peur que les générations futures ne connaissent pas la culture africaine, culture qu’il n’idéalisa jamais – parce que certaines traditions étaient franchement cruelles ou inhumaines dans cette culture – mais que certains auteurs occidentaux présentaient négativement dans leurs ouvrages. L’Américain Ernest Hemingway, à qui l’on doit “Le Vieil homme et la mer”, fait partie de ces auteurs. En réaction à une description erronée de la vie des Africains et convaincu que “les récits de chasse tourneront toujours à la gloire du chasseur aussi longtemps que les lions n’auront pas leurs propres historiens” (proverbe africain), Achebe va publier en 1958 “Le monde s’effondre” (“Things fall apart” en anglais). Le romancier nigérian y parle des Africains comme il a appris à les connaître en les côtoyant, c’est-à-dire avec leurs qualités et défauts.

Ainsi, nous découvrons que, chez les Ibos, le groupe ethnique auquel appartient l’auteur, quiconque était coupable d’homicide, volontaire ou involontaire, était condamné à l’exil pendant sept ans.  C’est le cas d’Okonkwo, le héros du roman. Celui-ci est banni de son village après avoir commis un meurtre. Lorsqu’il y revient, il constate que beaucoup de choses ont changé : les administrateurs civils et les missionnaires sont devenus les maîtres des lieux ; son fils aîné, Nwoye, s’est converti à la religion étrangère (le Christianisme). Okonkwo refuse ce bouleversement. Lui, qui naguère fit honneur à son village en terrassant le redoubtable Amalinze, dans un combat mémorable, veut combattre le nouveau pouvoir mais ses compatriotes ne semblent pas prêts à le suivre dans son projet. En définitive, il choisira de se donner la mort plutôt que de se soumettre à la domination des Occidentaux, parce que, pour lui, une soumission aurait signifié se déshonorer et subir la plus grande humiliation.

Ce que l’on peut retenir de ce roman, vendu à 10 millions d’exemplaires dans une cinquantaine de pays, ce sont les conséquences de la colonisation sur la vie d’un village africain : la disparition progressive d’un monde qui, sans être parfait, se suffisait à lui-même, l’effondrement d’un univers qui valorisait l’unité et la solidarité du groupe.

Ce roman interpelle-t-il les hommes et femmes de notre temps ? Oui, car, de nos jours, il n’est pas rare de constater que, dans une même famille, la cohabitation n’est pas toujours facile entre Catholiques ne voyant aucun inconvénient à passer par la Vierge Marie pour atteindre son fils Jésus et Évangéliques opposés à toute représentation de Dieu et rejetant tout ce qui n’est pas biblique. Chacun peut aussi remarquer que certaines Églises voient le diable et les sorciers partout. En effet, tel ou tel pasteur d’une Église dite du Réveil peut faire croire à un fidèle n’ayant jamais fait l’effort de lire la Bible que, s’il ne réussit pas en couple, en affaires ou à l’école, c’est à cause de son conjoint, de sa mère, de son père, de sa tante ou de son oncle qui aurait “mangé” son intelligence ou sa chance. Du jour au lendemain, le “possédé” ou ‘l’ensorcelé” se coupe alors de tout le monde, néglige ses parents, même lorsqu’ils sont malades et qu’ils ont besoin de son aide.

Par ailleurs, il est indiscutable que, dans certains pays africains, le colonisateur et le missionnaire ont œuvré de concert ou marché la main dans la main pour faire du tort à l’Africain et que des péchés confessés chez le curé se sont retrouvés chez le commandant de cercle alors que le Nègre croyait que le prêtre ne pouvait jamais briser le secret confessionnel, etc.

Ces comportements et d’autres dérives de certains porteurs du message chrétien sont évidemment condamnables mais de là à adhérer à l’idée que les Africains devraient abandonner la religion chrétienne, qui, faut-il le rappeler, est originaire non pas de l’Occident mais du Proche-Orient, il y a un pas que nous refusons de franchir pour la simple raison que la Bible ne demande ni de négliger ses parents ni d’avoir peur des sorciers ou du diable, pas plus qu’elle ne tolère le racisme, l’oppression, l’injustice ou l’exploitation des faibles.

“Le Monde s’effondre” comporte 3 parties. La première (13 chapitres) porte sur l’apogée de la société Ibo. La seconde (6 chapitres) évoque l’exil d’Okonkwo dans son village maternel, l’arrivée des missionnaires blancs et la conversion de son fils aîné à la religion chrétienne. La troisième et dernière partie (6 chapitres) raconte le retour d’Okonkwo dans son village natal régi par de nouvelles lois mises en place par les étrangers (missionnaires).

Ph: Dr- Chinua Achebe, auteur de plusieurs ouvrage dont le monde s’effondre

Chinua Achebe est décédé en 2013 à l’âge de 82 ans aux États-Unis où il enseigna longtemps la littérature à Brown University. Il a écrit d’autres ouvrages à succès comme “Le Malaise”, “La flèche de Dieu” et “Le démagogue”.

“En sa compagnie, les murs de la prison tombaient”, disait de lui Nelson Mandela. En 2002, il reçut le prestigieux Prix de la paix des libraires allemands qui voyaient en lui “une des voix les plus fortes et les plus subtiles de l’Afrique dans la littérature du XXe siècle, un moraliste et un grand narrateur”. Le Man Booker International Prize le récompensera 5 ans plus tard. Ses compatriotes le respectaient pour ses prises de position contre la corruption et la mauvaise gouvernance.

Jean-Claude DJEREKE

 

 

M. Jean-Claude DJEREKE

Jean-Claude DJEREKE : Auteur de plusieurs publications, Jean-Claude DJEREKE enseigne la littérature africaine à Temple University de Pennsylvanie (Etats-Unies d’Amérique). De nationalité ivoirienne, JCD a été homme religieux avant de se consacrer à la littérature. jcdjereke@gmail.com.


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