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Interview avec l’ancien président de la République, Nicéphore Dieudonné Soglo sur les réformes : « je ne veux pas de gouvernement de juges »


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 Infatigable Nicéphore Dieudonné Soglo ! Malgré le poids de l’âge, l’ancien président de la République reste préoccupé par les questions de développement de son pays. Lors d’un entretien qu’il a accordé aux journaux de la place : « La Nouvelle Tribune, L’Evénement Précis et La Presse du Jour » en date de ce jeudi 2 juin 2016. Nicéphore Dieudonné Soglo donne son appréciation et fait son analyse de la gouvernance Talon après deux mois de gestion des affaires de l’Etat. Conscient de la nécessité et de l’importance de réviser la Loi fondamentale de 1991, l’ancien président de la république invite toutes les parties prenantes à s’accorder sur leurs divergences afin que l’initiative connaisse un succès. Pour Nicéphore Dieudonné Soglo, il faut supprimer la Haute Cour de justice, diminuer les pouvoirs du Chef de l’Etat et « donner à des juges compétents, la possibilité de rendre justice ». Lire ci-dessous, l’intégralité de cet entretien.

Comment se porte le président depuis votre investissement personnel dans la présidentielle de mars 2016 ?

Ph/DR-: Je suis optimiste. Il faut remettre le pays au travail le plus rapidement possible

Ph/DR-: Je suis optimiste. Il faut remettre le pays au travail le plus rapidement possible

Nicéphore Dieudonné Soglo : Je crois que je vais très bien. Vous savez que j’ai une discipline physique. Je fais tous les matins mes abdominaux. Je fais une demi-heure de marche. J’ai une discipline également alimentaire parce que quand on a passé 80 ans, il faut avoir une discipline absolument discutable.

C’est ce qui explique votre  embonpoint ?

Rire…. Disons que j’essaie de récupérer. Je vais certainement prendre quelques jours de repos à cause de cette campagne qui n’a pas été évidente, ni facile mais il fallait la mener. Elle a été menée de mains de maître grâce à vous. Je tiens à vous remercier parce que vous avez fait un travail formidable avec nos équipes. On peut dire maintenant qu’il faut laisser le gouvernement travailler.

Justement puisque l’alternance pour laquelle vous avez ardemment travaillé est en cours depuis deux mois, comment appréciez-vous cela ?

Je crois que je l’ai dit lorsque j’étais sur la plantation du ministre Galiou. Chacun va à son rythme. Je pense que Talon avance méthodiquement. Je crois que c’est ce qu’il faut faire. C’est normal qu’il doive tenir compte de tous ceux qui ont contribué à sa victoire.

Il pose donc les bons pas, selon vous ?

Oui je crois. Gbian a même été nommé pour remplacer mon ancien collaborateur, Guy Amédé Adjanohoun au Burkina-Faso. Je crois qu’il avance méthodiquement mais, ce qui est aussi normal est que la population est aussi pressée. Je l’ai toujours dit en citant AiméCésaire qui est mon maitre à penser. «Quand on est chef, pour prévenir le danger, c’est l’impatience ». Parce que l’impatient veut la fin sans que tu n’aies les moyens tout de suite. Mais ce qui est important, il faut dire exactement ce que tu as envie de faire.

Avec la politique spectacle que nous avons eu et que certains ont baptisé ventilateur, il faut absolument qu’on ait pas un calme plat. Les gens sont impatients. Les nombreux cas de braquage montrent que la misère est là. La conférence épiscopale en a parlé. Il faut tenir compte de ça et je pense qu’il est indispensable car, pour moi, on parle des questions constitutionnelles

Comme vous l’avez souhaité, le régime de Talon s’est attaqué aux réformes nécessaires en installant une commission qui doit terminer ses travaux ce vendredi. De votre position d’ancien président de la République, quelle est la réforme obligatoire ?

Sur cette question, les deux points de vue se défendent. Nous avions vécu sous un système qui a fonctionné dans le pays démocratique. C’est à dire qu’il y a des élections comme dans le système nord-américain qui domine sur un second mandat, ce que Barack OBAMA a fait.

C’est aussi la même chose mais avec une différence du système français. On peut dire qu’on pouvait faire sept ans. C’est un système particulier qui est né dans les conditions historiques de la France. Je le connaissais au bout des doigts puisque je l’ai fait à la Sorbonne. Je crois que le plus important, c’est de voir les résultats et les suggestions faites par les autres. Il y a ceux qui proposent un mandat unique, d’autres qui soutiennent deux mandats.

Que pense Nicéphore Soglo de cela ?

La seule chose sur laquelle je penche, c’est que je ne veux pas de gouvernement des juges. Nous avons vu ce que la cour des miracles a donné dans notre pays. J’ai un livre de monsieur Tchankounho sur « l’art d’être soi ». Dans le livre, il dit qu’aux résultats des élections présidentielles de 1996, la présidente de la cour avait déclaré que près de 400.000 voix avaient été annulées dans les fiefs du candidat Soglo Nicéphore ». Ce qui a permis au candidatKérékou Mathieu de le battre par 98.000 voix.

Comment en est-on arrivé là ?

Un plan machiavélique avait prévu d’acheter les présidents de postes de vote dans le but de refuser les procès-verbaux en vue de leur annulation. J’en ai connu que j’ai interrogé personnellement. Ils m’ont répondu qu’ils avaient été payés à 50.000F et que la somme perçue était plus nécessaire que la réussite de l’un ou de l‘autre des candidats. Donc, ils étaient indifférents.

La cour constitutionnelle en était-elle ignorante ? C’est une question qu’il faut se poser. Apparemment vous défendez la diminution des pouvoirs de la cour constitutionnelle ?

Je pense qu’on ne veut plus de la cour des miracles. Personnellement, je crois que le grouillement des urnes a arrêté ça. Regardez ce que cela a donné en Côte d’Ivoire et dans les deux Congo.

Vous êtes aussi de ceux qui veulent une suppression de la Haute cour de justice ?

Je ne suis pas un partisan de cette histoire de Haute cour de justice.

Vous souhaitez que les gouvernants soient jugés par les juridictions ordinaires ?

Exactement ! Au fond, nous sommes des citoyens et nul n’est au-dessus de la loi. Il faut faire confiance à la justice de nos pays. C’est ce qu’on vient de faire. Il faut donner à des juges compétents la possibilité de rendre justice.

Le Président Patrice Talon souhaite que le président de la république ne soit plus aussi puissant comme vous et Boni Yayi l’aviez été ?

Ce n’est pas pour me jeter des fleurs mais j’ai respecté la lettre et l’esprit de la constitution.

Vous pensez réellement que le président de la république est trop puissant ?

J’ai l’habitude de dire quelque chose et c’est pour ça que je combats l’intervention des puissances étrangères dans la vie des tous puissants que nous sommes devenus. Je pense que la décolonisation française a été un échec. D’abord en Indochine parce que quand Churchill est passé voir Roosevelt qui a posé le principe, dans la charte de l’Atlantique, il a exprimé son étonnement sur les deux guerres mondiales. L’autre lui a répondu qu’il ne peut pas aller demander l’aide du congrès sans un motif de premier plan. Et ce motif, c’est de dire qu’on doit donner à chaque pays le choix du régime qu’il lui plait.

Vous pensez aussi qu’il faut sortir la HAAC du joug présidentiel ?

Absolument ! Vous savez, Talon a expérimenté la célèbre formule anglaise selon laquelle le pouvoir rend fou, le pouvoir absolu rend absolument fou. Il a été accusé d’empoisonnement, de coup d’Etat. Il a dû fuir sa patrie et le pouvoir judiciaire a également subi des pressions. D’où la nécessité que le pouvoir arrête le pouvoir. Et gouverner c’est prévoir.

Ph:DR-: Nous sommes en Afrique et tout le monde sait que la population va croître de un milliard.

Ph:DR-: Nous sommes en Afrique et tout le monde sait que la population va croître de un milliard.

Pour le Président Soglo que doit faire Patrice Talon pour réussir la réforme pour laquelle le peuple l’a élu ?

Il y a des questions qu’il a abordées comme la question de l’économie qui est la question centrale. Nous sommes en Afrique et tout le monde sait que la population va croitre de un milliard. Il y aura trois fois plus de jeunes et on sera plus populaire que la Chine. L’Afrique est comme un baril de poudre. La poudre est la démographie et le détonateur se nomme emploi. L’équation est simple. En 2050, l’Afrique au sud du Sahara aura une fois et demie la population de la Chine mais les jeunes en âge de travailler seront trois fois plus nombreux.

Comment vont-ils se nourrir, se loger, se soigner et surtout s’éduquer ? Où seront les emplois ? Quelles doivent être pour vous les priorités du président Talon ?

Je crois qu’on m’appelait le président des paysans parce que la base de toutes les économies du monde, c’est l’agriculture. Je crois qu’il est indispensable que nous connaissions le plus vite possible le programme du président et de son ministre.

La deuxième priorité que vous savez tous, parce que je suis heureux que Bio Tchané en ai parlé, c’est qu’il n’y a pas d’économie sans énergie. Quand Mandela nous avait réunis à Maputo en 2006, il disait : «Si quelqu’un vient au pouvoir, il faut qu’il ait une feuille de route ». C’est le devoir de mémoire et je voudrais qu’on montre. Sur le même tournant, à Verdun où étaient le président Hollande et Meckel, c’est madame Taubira qui s’est battue en France pour qu’on ait une journée sur la traite négrière qui a coûté à l’Afrique plus de cent millions d’hommes, de femmes et d’enfants. C’est pour ça que j’ai fait en 1992, Ouidah 92 avec la porte du non-retour des corps et du retour des âmes.

Le Président Talon a déclaré travailler pour réussir le miracle au Bénin. Vous y croyez ?

Je suis totalement persuadé de ça et aussi de ce qu’il y a des gens de qualité dans notre pays et également à l’extérieur. Je crois qu’il ira dans une dynamique qui a été lancée dans le monde et en Afrique en particulier. Il faut que tous les pays se souviennent de ce devoir de mémoire et qu’on ait une journée au sein de l’UA. C’est la seule chose qui nous unisse. Nous nous sommes battus les uns contre les autres comme des gladiateurs et si nous ne pensons pas à ça, nous ne pourrions pas unir l’Afrique.

L’une des figures emblématiques de la Françafrique, Me Bourgi était de passage à Cotonou. Il a donné raison à Nicéphore Soglo qui prévenait le peuple béninois de la résurgence de la Françafrique avec la candidature de Lionel Zinsou. Ce témoignage vous soulage ?

J’ai été victime de la Françafrique. On a failli me tuer. Je voudrais simplement vous montrer, quand j’étais aux Valls de Grâce, j’ai reçu la visite du président Mitterrand en qui j’ai beaucoup de respect. Il me tient comme si j’étais son fils (en montrant une photo). Quand on se voit, il a pour moi une sorte d’affection. La Françafrique est une réalité. Beaucoup de gens sont morts parce que les services secrets éliminent les gens. C’est présent dans plusieurs pays où il y a la CIA, le KGB, le SDEK et autres. Il y a beaucoup de livres là-dessus et tout récemment, Pascal Héraud et Jean Pierre Batte ont sorti « Françafrique ». Le livre de François Xavier Banchard, « Au mépris des peuples », est la synthèse. Ce que nous souhaitons, après avoir été des esclaves et des colonisés. Si l’Europe a eu son heure de gloire après cette période, c’est grâce à la traite négrière que le château de Versailles a été bâti.

C’est justement dans cette dynamique que le président François Hollande a nommé le candidat recalé au Bénin, Lionel Zinsou. N’est-ce pas Président Soglo ?

Je ne vais pas commenter ça.

Président Soglo, les anciens présidents que vous êtes, sont- ils bien traités ?

Je suis mal traité et il faut le dire. Je suis allé chez Konaré au Mali, il est dans un château qui est dans un domaine offert. Quand vous voyez Mandela, il a fait la prison et à sa sortie, l’Etat l’a pris en charge. Je veux avoir un local et avoir un cabinet pour travailler. Ce qui me reste de ma vie, c’est d’écrire ce que j’ai vécu.

Comment gérez-vous votre vie de retraité ?

J’ai eu beaucoup de chance dans ma vie. Ce qui poussait le Cardinal Gantin à me demander : «Pourquoi ton père t’a donné deux prénoms aussi bizarre ». Le fait de s’appeler Nicéphore, en grec, veut dire celui qui remporte des victoires. La première est la victoire sur la misère et ensuite contre l’ignorance et l’injustice. Je crois que si tu as ces éléments, tu peux avancer dans la vie. Moi, je ne peux pas dormir quand des gens souffrent alors que d’autres le font.

Vous souffrez pendant que vos populations souffrent en cette période de pluie ?

D’abord il y a une chose qui m’empêchait de dormir. C’était les enfants car c’est eux qui constituent l’avenir de la nation. Si tu ne leur donne pas l’occasion de se réaliser, ça m’empêche de dormir. J’ai eu la chance de rencontrer des gens merveilleux comme Aimé Césaire qui a été mon maitre à penser et qui m’a envoyé cette dédicace : « Dire au président Nicéphore Soglo qui par son exemple restitue à l’Afrique sa dignité et lui balise les routes de l’avenir pour lui dire mes vœux, mon amitié et ma connaissance ».

Récemment la Conférence épiscopale s’est prononcée sur les questions de sécurité. Soutenez-vous leur position ?

Quand on est à ce poste, il faut toujours avoir des gens qui jouent le rôle de « fou du roi », quelqu’un capable d’attirer ton attention sur certains points. Dans l’ancienne Rome, on disait à l’heure du triomphe, il y a toujours quelqu’un qui, aux côtés de César lui disait de ne pas oublier qu’il est mortel.

Pour Nicéphore Soglo qui comprend l’impatience des peuples et la prudence que doit observer les dirigeants. S’il vous était donné de lancer un appel aux populations par rapport à leur impatience, que diriez-vous ?

C’est normal que quand quelqu’un souffre, il faut tout le temps lui expliquer ce que tu fais. Je crois que le rôle que doit jouer le ministre de l’économie et des finances, c’est important de faire l’état des lieux. De savoir la dette intérieure et extérieure qu’on te laisse pour qu’il n’y ait pas de contestations. Il faut demander à des organes dont personne ne mette en doute ni la compétence ni l’impartialité de faire leur travail.

L’état des lieux conduit à rendre gorge, n’est-ce pas ?

C’est capital parce qu’on connait les fossoyeurs de l’économie. J’en connais certains qui se promènent et je me demande s’ils n’ont pas honte.

Vous pensez qu’il faut ressusciter les dossiers, comme le PPEAII ?

Il faut ressusciter tous les dossiers de corruption parce que c’est ce qui affaiblit les entreprises humaines. Dès que tu mets la main dans la caisse et que tu as des biens mal acquis, on te manipule. Je crois que c’est capital.

Que direz-vous pour conclure cet entretien ?

Je suis optimiste. Il faut remettre le pays au travail le plus rapidement possible. J’ai été administrateur ders banques et quand les banques ne tournaient plus, c’étaient les paysans qui étaient le socle de l’économie. Houphouët me donnait un exemple sur Abidjan où personne n’a le permis de construire quand tu n’as pas encore construit dans ton village. Quand tu construis dans ton village et que tu fais du cacao et autres, tu dois te battre pour son développement. Malgré la guerre civile qu’ils ont eue, le pays a eu une assise solide. Le vrai défi que nous avons après le climat, c’est celui de l’explosion urbaine. La moitié du monde vit dans des villes. Et ayant vécu aux Etats-Unis, pour ne pas avoir des villes de 200Km comme Los Angeles, il faut densifier en hauteur. Il faut avoir un plan d’urbanisme et qu’on puisse penser et donner des ressources. Je pense qu’il y a trois étages et le sous bassement de toute nation, c’est d’abord le village et la ville. C’est là-dessus qu’on bâtit la nation et les nations assemblées forment des fédérations. Le Nigéria et les grands pays l’ont. Ce qu’ils ont fait est que chaque entité a des ressources autonomes alors qu’on volait le peu d’argent qu’on avait.

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