Flash Infos:

Entretien exclusif avec Adama Mariko (AFD) : « L’Afrique doit éviter un endettement non productif


2 349 Vues

Ph:DR: Adama Mariko, secrétaire général de Finance en commun et directeur exécutif adjoint à l’AFD, en charge de la mobilisation, des partenariats et de la communication

(Agence Ecofin) – Coalition regroupant 530 banques publiques de développement à travers le monde, la plateforme Finance in Common lancée il y a cinq ans, vise à renforcer la collaboration entre des banques publiques diverses par leur taille et leur géographie, mais alignées sur des objectifs communs de développement. Chaque année, un sommet Finance en commun (FICS) consolide les efforts techniques réalisés tout au long de l’année, favorise l’alignement stratégique, met en lumière les progrès concrets et engage des discussions politiques pour promouvoir des réformes internationales.

Dans un entretien exclusif accordé à l’Agence Ecofin, Adama Mariko, secrétaire général de Finance en commun et directeur exécutif adjoint à l’AFD, en charge de la mobilisation, des partenariats et de la communication, livre son point de vue et les perspectives sur les enjeux économiques et financiers africains et mondiaux.

Agence Ecofin : Finance en commun est une plateforme majeure réunissant les principaux acteurs du financement public pour l’Afrique et les pays en développement. Quels seront les axes prioritaires du FICS 2025 à Cape Town ?

Adama Mariko : Je suis très enthousiaste pour le FICS 2025. Depuis 2023, à notre réunion en Colombie, nous avons affiné un agenda international aligné sur les priorités des États via les Nations Unies et participé activement aux discussions techniques du G20. Malgré les défis, la COP 29 a montré que même un travail technique peut aboutir à des résultats politiques.

En 2025, notre objectif est de renforcer la capacité financière des banques publiques de développement (BPD) pour promouvoir des investissements durables. Les 530 BPD dans le monde représentent un bilan consolidé de 23 000 milliards de dollars, avec 2 500 milliards investis chaque année. Cependant, il existe un problème d’allocation : 80 % de ces ressources sont concentrées dans les pays du G20, tandis que l’Afrique, malgré ses 100 BPD, ne représente que 1 % du total.

Seuls 10 % des BPD ont une mission internationale, comme la Banque mondiale ou l’AFD, tandis que les autres se concentrent sur des priorités nationales. Nous travaillons à aligner leur double mandat : soutenir les politiques publiques nationales et contribuer à résoudre les enjeux globaux (climat, biodiversité).

L’équilibre géographique des BPD est notable : environ 20 % se trouvent en Afrique, Europe et Amérique, et 25 % en Asie. Mais leur capacité financière reste inégalement répartie. Pour 2025, nous cherchons à lever les obstacles à une meilleure allocation des ressources, à réduire les freins aux mouvements de capitaux et à mobiliser davantage de fonds privés grâce à la collaboration entre BPD nationales et internationales.

Cette année est stratégique : elle marque les 10 ans des accords de Paris, des ODD et du pacte d’Addis-Abeba. Nous espérons aligner ces cadres pour optimiser l’architecture financière internationale. Le FICS, organisé parallèlement au G20 en Afrique du Sud, offre une opportunité unique de travailler avec les ministres des Finances et gouverneurs de banques centrales sur des réformes cruciales.

En 2025, sous le leadership du Brésil et de l’Afrique du Sud, le rôle des pays du Sud sera central. Ces deux nations ont sollicité Finance en commun pour contribuer aux négociations internationales, du G20 à la COP30. Nous sommes déterminés à soutenir cet agenda ambitieux et à mobiliser les BPD pour relever ces défis.

AE : Vous avez parlé du G20, dont une réunion se tiendra en même temps que le FiCS en Afrique du Sud, pays qui assure la présidence du G20 en 2025. Avez-vous des attentes particulières vis-à-vis de cette présidence, notamment en matière d’accès au financement pour les pays africains ?

AM : Ce sujet est plus que jamais d’actualité. Le G20 reconnaît les difficultés d’accès au capital, que ce soit pour les pays africains ou pour d’autres régions comme l’Amérique latine et l’Asie du Sud. La question du financement international est cruciale, et la présidence sud-africaine s’inscrit dans la continuité des efforts du Brésil, qui a fortement impulsé des réformes.

Ces réformes visent notamment à renforcer les capacités des banques multilatérales, non pas uniquement par des augmentations de capital, mais en rationalisant leurs activités et en révisant certaines réglementations pour libérer des ressources supplémentaires. Ces moyens, bien que limités à 200 milliards de dollars par an, permettent de se concentrer sur des enjeux de développement, d’adaptation et de financement climatique. Une autre avancée importante concerne l’utilisation des droits de tirage spéciaux (DTS). Depuis 2022, ces ressources, initialement conçues pour répondre aux besoins monétaires des pays, peuvent désormais transiter par les banques multilatérales pour renforcer leurs fonds propres et accroître leur capacité d’emprunt. Ce mécanisme, soutenu par des négociations dans le cadre du G20, a déjà bénéficié à la Banque africaine de développement et à la Banque interaméricaine de développement, leur permettant de financer davantage l’économie africaine grâce à des innovations financières.

L’ampleur de ces avancées montre à quel point l’Afrique du Sud, en tant que membre du G20 et pays africain, joue un rôle central. Elle est aussi un exemple de transition énergétique et industrielle. En bénéficiant des premières initiatives JETP (Partenariat pour une transition énergétique juste, NDLR), bien que leurs résultats restent limités à ce jour, l’Afrique du Sud démontre comment concilier développement économique, autosuffisance énergétique et transformation des filières extractives vers des activités plus vertes et productives, tout en soutenant la formation des travailleurs pour accompagner ces mutations. Sa détermination et son leadership dans ces discussions inspirent d’autres pays africains et au-delà.

Par ailleurs, la Banque centrale sud-africaine, très impliquée dans les travaux du G20, explore des moyens de renforcer l’interopérabilité entre les banques nationales et multilatérales. L’objectif est de lever les obstacles qui freinent la mobilisation des financements internationaux pour qu’ils bénéficient davantage aux économies nationales. L’enjeu ne réside pas seulement dans la disponibilité des ressources, mais aussi dans les conditions d’accès à ces fonds. Les perceptions de risque et les coûts de financement prohibitifs placent souvent les pays en développement dans une trappe à développement.

L’accès au capital dépend aussi fortement du rôle des banques publiques nationales. Ces institutions sont cruciales pour attirer les investissements, car elles initient le processus de dérisquage des projets, soutiennent la création d’un secteur privé national solide et apportent des garanties indispensables aux banques privées. En leur absence, les banques internationales hésitent à financer des projets dans ces pays, et les priorités financières locales peinent à émerger.

En comprenant ces enjeux, la présidence sud-africaine du G20 a fait de ces problématiques une priorité, notamment lors des discussions à Cape Town.

AE : Le FiCS intervient dans un contexte où plusieurs rapports du FMI et de la Banque mondiale ont relevé une baisse de l’aide publique au développement (APD) à destination de l’Afrique, ainsi qu’un désengagement de plusieurs banques occidentales sur le continent. Quelles en sont les causes et quels impacts cela a-t-il eus sur le développement de projets en Afrique ?

AM : La question de l’APD et du retrait des banques internationales est cruciale. Concernant l’APD, il ne s’agit pas tant d’une baisse que d’une transformation. Entre 2015 et 2020, les crises internationales ont poussé les États à prioriser les contributions au système multilatéral, au détriment de l’APD bilatérale. Initialement, deux tiers de l’APD étaient bilatéraux, mais en dix ans, cette tendance s’est inversée, avec une forte orientation vers les fonds multilatéraux et verticaux comme le Fonds vert pour le climat ou le Global Fund for Education. Ce basculement pose des questions sur l’efficacité de ces mécanismes dans la redistribution des fonds et leur impact sur le terrain.

Les États ont également été contraints de rediriger leurs budgets en réponse à des crises comme la pandémie de Covid-19 ou la guerre en Ukraine. Ces priorités ont concurrencé les financements dédiés à l’APD classique. Malgré cela, les flux de financement durable continuent d’augmenter, notamment dans des secteurs alignés sur les Objectifs de développement durable (ODD) et la transition énergétique.

Concernant les banques internationales, leur retrait est davantage technique que stratégique. L’entrée en vigueur des réglementations comme Bâle III a imposé des contraintes de pondération des risques, rendant les investissements dans des zones perçues comme risquées peu rentables. Ces règles pénalisent les banques étrangères investissant dans des régions hors de leur juridiction, en augmentant considérablement le coût en capitaux propres.

Face à ces contraintes, de nombreuses banques internationales ont vendu leurs filiales africaines à des banques panafricaines ou nationales, mieux adaptées à la réglementation locale. Par exemple, des institutions marocaines ou ivoiriennes ont repris ces positions, transformant la structure actionnariale sans pour autant réduire les capacités de financement. Ces nouveaux actionnaires, souvent plus proches des réalités locales, permettent de mieux répondre aux besoins de financement endogène.

En conclusion, le retrait des banques occidentales est une conséquence de contraintes réglementaires, et non un abandon stratégique. Ce mouvement a permis aux banques panafricaines de jouer un rôle plus central, renforçant l’autonomie financière du continent.

AE : Et quelle est l’opportunité pour l’Afrique dans ces dynamiques ?

AM : Une grande capacité d’innovation émerge en Afrique. Les banques panafricaines, comme Ecobank, certaines banques marocaines, ou des consortiums régionaux, montrent plus d’audace en investissant, en rachetant des banques ou en créant de nouveaux réseaux bancaires. Cela représente une excellente opportunité pour le financement du continent.

Les banques publiques africaines jouent également un rôle clé. Par exemple, des guichets uniques sont créés pour financer l’entrepreneuriat dans des secteurs peu desservis, comme les très petites entreprises ou le secteur informel. Le système public offre des garanties pour encourager les banques commerciales à financer ces entreprises récemment formalisées.

Dans le cadre de Finance en commun, nous soutenons l’inclusion financière et le financement des PME. Les banques publiques collaborent avec des réseaux de banques commerciales pour accompagner la formalisation des vendeurs informels à travers des formations, des guichets uniques et des garanties publiques, facilitant leur accès au financement bancaire.

À l’AFD, j’ai travaillé sur ces questions dès le début de ma carrière à Abidjan, en apportant des garanties au secteur bancaire. Ce produit est aujourd’hui largement utilisé par des institutions publiques et privées pour financer l’entrepreneuriat et les PME.

Des structures nationales, comme l’ADR au Sénégal, le BIPM en Côte d’Ivoire ou la Caisse des Dépôts au Bénin, soutenues par l’AFD, accompagnent les banques et le secteur privé dans ces démarches. Cela montre comment le secteur public et le secteur privé peuvent coopérer efficacement avec l’appui de la coopération internationale. Ces initiatives, encouragées dans le cadre de Finance en commun, se développent et portent leurs fruits.

 

AE : Vous avez évoqué la perception du risque liée à la dette. Ne pensez-vous pas qu’il existe une présomption systématique de risque de défaut envers les pays africains, notamment de la part des agences de notation ? Ce risque semble plus élevé en Afrique, mais, dans les faits, peu de pays africains sont entrés en défaut récemment, malgré des crises globales. Est-ce que ces agences ne surestiment pas le risque réel des économies africaines ?

AM : Oui, c’est tout à fait le cas, mais ce n’est pas uniquement la perception des agences de notation. C’est aussi celle des investisseurs. Le problème principal, c’est le coût du capital, qui est directement influencé par la notation, que ce soit au niveau d’un projet ou d’une dette souveraine.

Prenons l’exemple de l’Europe : après la crise financière, des pays comme la Grèce, l’Espagne ou l’Italie ont connu des difficultés, et pourtant, les coûts d’emprunt de la Grèce, qui avait fait défaut, restaient meilleurs que ceux de certains pays africains qui n’ont jamais fait défaut. Cela s’explique par l’intégration économique européenne, qui offre une protection et une perception de soutien collectif, contrairement à l’Afrique, où l’intégration reste limitée, malgré des blocs comme la CEDEAO ou l’UEMOA.

Paradoxalement, l’Afrique est perçue comme un tout, malgré sa fragmentation. Par exemple, une crise au Kenya ou un coup d’État au Niger peut provoquer une hausse des spreads dans toute la région, sans lien économique direct. Ce phénomène dépasse les agences de notation et reflète une perception biaisée des investisseurs.

Pourtant, l’Afrique dispose d’instruments financiers solides, comme la Banque africaine de développement (BAD), notée triple A grâce à ses actionnaires supranationaux. Cela lui permet d’emprunter à des taux bas pour refinancer les États et projets africains. De même, des institutions comme la BOAD (Banque ouest-africaine de développement) jouent un rôle clé en obtenant des financements à des conditions bien meilleures que celles des pays membres s’ils agissaient seuls.

Ces institutions financières publiques sont une opportunité inexploitée. Elles représentent moins de 1 % des actifs bancaires mondiaux, mais leur potentiel pour mobiliser des ressources nationales et internationales est immense. En renforçant ces banques publiques et en réduisant la méconnaissance des économies africaines, nous pouvons atténuer les chocs et améliorer la perception du risque. C’est un agenda stratégique à pousser fortement.

https://www.agenceecofin.com/actualites/2401-125200-entretien-exclusif-avec-adama-mariko-afd-l-afrique-doit-eviter-un-endettement-non-productif

 


Répondre

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont marqués d'une étoile *

*

Revenir en haut de la page