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Bénin/Politique : Analyse : NOUVEAU CODE ELECTORAL DU BENIN : SUR LES TRACES DU MODELE ALLEMAND ?


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Ph: DR-: Dr Kuessi Marius SOHOUDE Maître-Assistant des universités / CAMES en littérature et civilisation allemande

Ph: DR-: Dr Kuessi Marius SOHOUDE
Maître-Assistant des universités / CAMES en littérature et civilisation allemande

Depuis quelques mois, notamment après le séminaire organisé le 14 juin 2018 par l’Assemblée Nationale sur le nouveau code électoral, plusieurs personnes se sont exprimées sur certaines innovations proposées. Le débat a repris de plus belle suite à l’adoption du nouveau texte par la Commission des lois le 03 août 2018. Parmi les innovations au centre des débats, la définition du seuil de 15% au moins des suffrages pour l’accès des partis au parlement.

 Les points en débat

 Les principaux points querellés et repris dans la presse et sur les réseaux sociaux se résument à trois. Il s’agit premièrement de la caution à déposer par chaque liste de candidats aux législatives et par chaque candidat aux présidentielles. Le deuxième point concerne l’obligation faite aux anciens présidents de « renoncer à leur statut d’ancien chef d’Etat un an à l’avance », s’ils nourrissent l’ambition d’être candidats aux élections législatives ou communales. La troisième préoccupation porte sur la condition pour chaque parti de réunir au moins 15% des suffrages au plan national pour mériter sa présence au parlement. « L’objectif serait d’encourager la formation de grands partis politiques ou des rassemblements de partis afin qu’ils aient une assise nationale. » Ce but peut raisonnablement être atteint, puisqu’on aurait ainsi, mathématiquement, au plus six partis politiques dans la prochaine législature, si on faisait fi des 10% qui resteraient, 15% x 6 faisant 90%. Mais, au-delà du problème de calcul, c’est la notion de pourcentage qui nous intéresse ici.

 La notion de pourcentage dans le modèle allemand

 Il faut noter, d’entrée, que la notion de pourcentage n’est pas nouvelle dans le monde. Elle se pratique en effet depuis bien des années dans plusieurs pays avec des pourcentages variés : 0,67% aux Pays Bas, 04% en Autriche,  5% en Allemagne et 10% en Turquie. Pour ce qui est de l’Allemagne, en l’occurrence, la loi existe depuis 1949 au niveau des Etats fédérés et depuis 1953 au niveau fédéral. En effet, le parlement allemand compte depuis les dernières législatives de septembre 2017 709 députés. Ils sont, comme au Bénin, choisis suite à des élections « générales, directes, libres, égales et secrètes » selon l’article 38 de la Loi Fondamentale, la Grundgesetz. La moitié des députés est élue directement dans les circonscriptions électorales par le biais d’un vote de personnalité (Persönlichkeitswahl). C’est donc sur la base des qualités individuelles du candidat que l’électeur lui accorde ou non sa voix. Le candidat peut être d’un parti politique ou indépendant. Ce vote requiert une majorité absolue (Mehrheitswahl). Dès que le candidat a obtenu la majorité des voix dans sa circonscription électorale, il devient d’office le représentant de sa circonscription au nouveau parlement, quel que soit le score de son parti. La deuxième moitié des représentants est élue de façon indirecte par le bais des listes présentées par les partis politiques dans chaque Etat fédéré, dans chaque « Bundesland ». C’est compte tenu de la position du candidat sur la liste de son parti que ses chances s’apprécient. Mais lorsqu’un candidat a déjà été élu par mandat direct, c’est celui qui suit sur la liste qui est envoyé au parlement. A ce niveau, on applique le principe de la majorité relative (Verhältniswahl), selon la clef de répartition retenue.

Cependant, le parti n’est représenté au parlement que lorsqu’il réunit au moins cinq pourcent (5%) du suffrage exprimé au plan national. Par ailleurs, ce « verrou de cinq pourcent » est sauté dès que le parti a au moins trois mandats directs au parlement. On lui additionne alors les mandats directs et les mandats indirects obtenus par les listes. Chaque parti ayant atteint au moins les 5% des suffrages constitue en général un groupe parlementaire ; les députés ayant un mandat direct sont non alignés, lorsqu’ils sont indépendants ou quand le parti n’a pas pu franchir la barre des 5%. C’est ainsi qu’on dénombre depuis octobre 2017 au Bundestag, à l’issue de la compétition de 42 partis, six partis et partant six groupes parlementaires (CDU/CSU, SPD, AfD, FDP, Die Linke, Bündnis 90/Die Grünen) et deux députés du parti MdB, qui sont sans groupe parlementaire.

On peut conclure que chaque électeur a droit à deux voix, l’une pour la personnalité du candidat et l’autre pour la liste du parti favori. Ainsi, même si la liste du parti favori n’arrive pas à réunir le pourcentage nécessaire pour accéder au parlement, le(s) candidat(s) élu(s) directement va/vont le représenter ou représenter tout au moins la circonscription électorale dans le nouveau parlement. Ainsi la voix des électeurs à la base est toujours considérée, respectée et la représentation mérite bien son caractère national, même si une partie des suffrages peut être perdue par le parti.

 

Ph: DR: De l'analyse du Professeur, "les femmes qui ont une personnalité avérée dans leurs circonscriptions pourraient se faire plus facilement élire, même si elles n’étaient pas bien positionnées sur les listes des partis politiques"

Ph: DR: De l’analyse du Professeur, « les femmes qui ont une personnalité avérée dans leurs circonscriptions pourraient se faire plus facilement élire, même si elles n’étaient pas bien positionnées sur les listes des partis politiques »

Les faiblesses du modèle allemand

Malgré la longue durée de l’expérience de l’Allemagne, les critiques semblables à celles exprimées actuellement au Bénin persistent. C’est ainsi qu’on peut lire, à l’occasion de la célébration de la soixantième année d’existence de cette disposition au plan fédéral, ce qui suit : « Les critiques sont d’avis que la clause du verrou favoriserait les partis établis et rendrait difficile aux petits et aux nouveaux mouvements politiques l’accès aux parlements. En outre, les résultats des élections seraient déformés, puisque les voix accordées aux partis, qui échouent sur la clause, sont annulées

La crainte que les petits partis aient plus de difficultés à entrer au parlement et qu’ils perdent les voix qu’ils ont recueillies, est donc inhérente à la notion de pourcentage. Cependant, il faut noter que la possibilité accordée aux citoyens de voter directement pour une partie des députés, indépendamment des listes des partis politiques, constitue une solution à l’inquiétude de voir annuler le suffrage exprimé par la population et sur la base duquel les calculs auraient été faits pour désigner le nombre de sièges au niveau de la circonscription électorale ; ce qui, du coup, frise un manque de considération du peuple souverain qui peut ne pas se sentir représenté dans la nouvelle législature, la nouvelle représentation nationale.

C’est cette conséquence que semble induire l’innovation du nouveau code électoral au Bénin, en prévoyant que seuls les partis ayant réuni au moins 15% des suffrages au plan national soient représentés au parlement. Il serait par conséquent utile d’apprendre du modèle allemand, afin d’éviter de commettre les erreurs que d’autres peuples ont déjà connues et corrigées.

 

Quelques voies de sorties

Si nous voulons imiter ce modèle au Bénin, il nous faudrait diviser le futur nombre de députés en deux, soit quarante-et-un sièges, ou accorder un mandat direct à chaque circonscription électorale, soit vingt-quatre (24) sièges, en tenant compte de l’ancien code. Une partie sera élue sur la base des mérites et donc de la personnalité de chaque candidat. L’autre moitié sera choisie sur la base des listes établies par les partis politiques dans chaque circonscription électorale. Les candidats au mandat direct peuvent être indépendants des partis politiques comme ils peuvent en être membres et se retrouver en même temps sur les listes des partis. Mais en cas de victoire individuelle, ils peuvent se retrouver au parlement, même si leurs partis ne parviennent pas à aller au parlement en tant que formations politiques. Dans ce cas, ils représenteraient non seulement la circonscription qui les a élus, mais également le parti dont ils sont issus mais qui a raté le pourcentage requis.

Ce faisant, les électeurs se sentiraient considérés du fait que leur circonscription est représentée, comme ce fut le cas jusqu’à présent. Au même moment, le problème de la représentativité des partis politiques serait réglé par l’introduction de la clause de pourcentage qui les contraindrait à œuvrer pour une présence effective dans toutes les circonscriptions électorales du pays. De même, les femmes qui ont une personnalité avérée dans leurs circonscriptions pourraient se faire plus facilement élire, même si elles n’étaient pas bien positionnées sur les listes des partis politiques.

 

Par Dr Kuessi Marius SOHOUDE

Maître-Assistant des universités / CAMES en littérature et civilisation allemande

Enseignant-chercheur au Département d’Etudes Germaniques

Faculté des Lettres, Langues, Arts et Communication / UAC / Bénin

Tél. 97394359; E-mail : sohoudekm@hotmail.de


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