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Economie / Entretien avec le Gouverneur de la BCEAO sur le Franc CFA : Tiémoko Meyliet Koné lève enfin un coin du voile : «Non, on ne sort pas d’une monnaie qui vous appartient. Le CFA, c’est nous, c’est notre monnaie qui a été appropriée »


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La question du CFA, unité monétaire et instrument de stabilité passionne, divise et demeure la monnaie des Africains. Pour la première fois, le Gouverneur de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), Tiémoko Meyliet KONE en parle avec le journaliste Alain Foka.  A quoi sert le Fcfa ? Pourquoi on n’en sort pas ? Qu’est-ce qu’on y gagne ? Et que gagne la France dans cette aventure? Un passionnant entretien qui a permis au Gouverneur de justifier ces différentes préoccupations. C’est également l’occasion pour lui, de faire la leçon à ceux qui estiment qu’il faut rapatrier les réserves. «Non, on ne sort pas d’une monnaie qui vous appartient. Le CFA nous appartient. (…) Le CFA, c’est nous, c’est notre monnaie qui a été appropriée » rétorque Meyliet Koné.

 

 

Alain Foka : Comment expliquer que, plus de 55 ans après les indépendances, les pays, anciennes colonies de la France aient toujours la même monnaie ; même si on a essayé de corriger l’acronyme CFA, cela ne vous dérange pas ? Est-ce que les Africains ne peuvent pas créer une monnaie ?

 

Ph:DR : Tiémoko Meyliet Koné, Gouverneur de la Banque Centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO)

Ph:DR : Tiémoko Meyliet Koné, Gouverneur de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO)

Tiémoko Meyliet Koné : Merci d’abord de me donner la parole de pouvoir m’exprimer sur cette question. Je m’attendais en tant que Gouverneur à des questions techniques. Alors, je ne suis pas du tout gêné par la question. Ce qui me gêne plutôt, c’est de devoir expliquer et convaincre que des pays africains, après leur indépendance qui ont délibérément décidé d’avoir une monnaie africaine et de la mettre comme un ciment dans une intégration monétaire qu’on soit obligé de dire que c’est leur monnaie. Parce que c’est leur monnaie. L’acronyme n’a pas beaucoup d’importance, au moment où justement après l’indépendance les pères fondateurs de cette monnaie avaient double objectif : le premier objectif, c’était de créer un cadre. C’est vrai qu’il y avait une monnaie qui circulait pendant la colonisation.
Qui s’appelait déjà CFA (Colonie française d’Afrique)

 

Oui ! Et qu’ils ont emprunté ; mais qu’ils se sont appropriés. Je crois que le thème est important. Parce que l’appropriation s’est faite de telle sorte que cette monnaie devient la vôtre.

 

Monsieur le Gouverneur, s’approprier la monnaie alors qu’on la fabrique ailleurs ; alors qu’on sait très bien que ça rime sur le Trésor public français. Ce n’est pas s’approprier la monnaie ça ?

 

Si, s’approprier la monnaie, ce n’est pas quelque chose qui se fabrique ; la monnaie c’est un ensemble de mécanismes qui permettent à un pays d’organiser les transactions dans le pays. C’est ça la monnaie. Maintenant si vous l’a confondez avec le billet, effectivement, il peut y avoir la confusion de dire que ça se fabrique ailleurs. Donc la monnaie est un mécanisme qui se met en place.

 

Ce mécanisme s’impérialiste par ce billet-là qui vienne d’ailleurs.

 

C’est moins important. Les billets qui viennent d’ailleurs, c’est purement commercial. Quand on fabrique un billet, il y a beaucoup d’éléments qui rentrent dans la composition et dans la fabrication du billet. Nos économies aujourd’hui, n’ont certainement pas – et c’est valable pour beaucoup de pays – les moyens de fabriquer sur place parce que ce ne serait pas rentable.

 

Vous voulez dire que, aujourd’hui en 2017, les Africains ne sont pas capables de fabriquer leur monnaie à eux ; qu’ils sont obligés de retourner à l’ancienne métropole pour fabriquer leur billet ?

 

Si les statistiques que j’ai sont exactes, seuls huit ou neuf pays sur les 52 pays africains qui fabriquent leur monnaie. C’est peut-être tout simplement, soit la taille de leurs économies et les besoins ne peuvent pas justifier l’implantation d’une fabrique de monnaie. Parce que c’est une technologie qui est très chère et qui évolue très vite et très concurrencée par les faussaires. Autant vous avancez, les faussaires avancent.

 

Mais comment comprendre qu’on ne peut pas fabriquer notre monnaie et celui qui la fabrique n’a pas la main dessus ? Est-ce que celui qui fabrique n’en fait pas ce qu’il veut ? Est-ce qu’en réalité ce n’est pas une façon pour la France de garder la main sur ces anciennes colonies ?

 

Non pas du tout ! Voyez la grande différence qu’il y a entre ceux qui gèrent la monnaie et ce qui gèrent ce qu’on appelle signe monétaire et le public ; pour nous, c’est du papier fiduciaire dans un premier temps. C’est comme une imprimerie qui fabrique des imprimés avec la différence que ces imprimés ont une valeur caractéristique qui est particulière, parce que c’est des billets de banque.

 

Vous avez un contrôle dessus ?

 

Absolument ! Parce que la quantité, c’est nous qui la donnons ; les éléments qui doivent figurer, c’est nous qui les donnons. Donc la France ne décide pas d’imprimer le billet et de nous la donner. C’est nous qui demandons et on le fait avec la France. Vous savez pourquoi ? Parce que, pour arriver à avoir un billet qui soit parfait et qui convienne à l’utilisation des populations, ça met du temps. Pourquoi ? Parce qu’il y a des effets climatiques. Un billet qui circule dans un papier qui est humide ne doit pas avoir la même consistance avec un billet qui circule dans le Sahel.

 

Donc ce n’est pas la volonté de la France que ça soit fabriqué là-bas ?

 

Non, pas du tout ! C’est nous qui décidons que ça soit fabriqué là où nous souhaitons que ça soit fabriqué. Mais il est évident qu’à un certain moment, puisque nous avons pris l’habitude de le faire, il faut quelque chose qui satisfait à nos besoins, alors en ce moment-là, il n’y a pas de raison pour qu’on change. La seule chose qui peut changer, c’est que les prix. Nous sommes très sensibles au prix ; parce qu’autant nous ne pouvons pas fabriquer les billets parce que ça coûterait très chère pour nos petites économies, autant nous sommes très regardant sur les prix.

 

Les prix, je sais que c’est votre cheval de bataille : la lutte pour la stabilité des prix ; mais est-ce que c’est l’essentiel dans une économie ? Est-ce que ça ne bloque pas l’octroi des crédits et la croissance ?

 

Non ! La stabilité des prix, vous savez pourquoi, elle est importante pour les banques centrales et pour les économies ? Parce que ça permet de maintenir le pouvoir d’achat des populations ; parce que dans notre zone on peut dire que le taux d’inflation a été jusqu’ici très bas ; parce qu’il est très contrôlé, nous le suivons. Ici, c’est peut-être là où la ménagère va au marché en étant pas inquiète parce qu’elle ne sera pas surprise que le prix du riz a été multiplié par dix ou augmenté à un prix incontrôlé. C’est aussi le cas d’un malade qui va dans une pharmacie, il sera sûr que les médicaments auxquels il a accès d’habitude n’augmenteront pas de façon exponentielle et ne lui permet pas d’en disposer.

 

Cela veut dire le maintien du pouvoir d’achat des populations. Si ces pouvoirs d’achat ne sont pas maintenus alors, on a des frondes sociales et ça c’est pour les personnes physiques. Pour les entreprises, c’est beaucoup plus grave. Puisqu’elles vont produire avec des coûts qu’elles ne maitrisent pas, qui peuvent changer du jour au lendemain. Alors, elles produiront et vendront aussi des marchandises ou des services dont les prix vont fluctuer.

 

Donc, on reste dedans par confort.

 

Non, ce n’est pas un confort mais c’est une nécessité. Parce qu’une économie pour pouvoir croître a besoin de créer des visions. Que les gens aient une vision qu’ils puissent les planifier ;  qu’ils puissent se projeter éventuellement. C’est ça qui permet justement à une économie de se développer. Mais si je ne sais en construisant une usine aujourd’hui, que je pourrai les revendre demain parce que les prix auraient tellement augmenté que je ne serais même pas capable de vendre ces produits, mais aujourd’hui, je ne construis pas l’usine. Mais si j’en ai une brève idée, dans ce cas-là je me projette dans le temps et je le fais. Et c’est ça qui est important.

 

Pour vous l’instabilité du prix est importante et l’arrimage à l’Euro via le Trésor public français est hypra important. Est-ce que quelqu’un qui vous permet d’arrimer à la monnaie internationale ne décide pas pour vous ? Est-ce que Monsieur le Gouverneur, vous n’allez pas prendre vos ordres à Bercy pour les décisions ?

 

Certainement pas ! Cela n’a absolument rien à voir. Il y a à un certain moment des rencontres que nous avons mais qui sont de nature tout simplement à passer en revue l’ensemble des accords que nous avons, voir leur fonctionnement, s’il est optimal ou pas. L’ensemble des décisions dans la gestion monétaire n’est pas pris à Bercy.

 

Il y a quand même un représentant de l’Etat français au Conseil d’administration de la BCEAO et même de la BCEAC. Est-ce que celui-là ne vient pas pour veiller à ce que son argent soit mieux gérer. C’est-à-dire qu’il n’a pas un regard sur ce qui se passe ici ?

 

C’est la place d’un administrateur comme tous les autres ; il n’a ni droit de décision, ni  droit de véto, ni un droit particulier par rapport à un autre administrateur. Il exprime ses points de vue. Ça c’est utile car on ne peut pas non plus, dans une banque centrale gérer une monnaie qui est d’essence publique en étant dans le flou. Il faut que ça soit dans la transparence la plus totale et tous les administrateurs sont là, représentant les Etats. Le Conseil prend les décisions ; si on doit prendre des décisions en votant, ce sera la majorité simple. C’est ce qui est prévu dans les textes. Mais je peux vous dire que je suis Gouverneur, je n’ai jamais présidé à un Conseil où nous sommes obligés d’aller à un vote. Ça veut dire qu’il y a un consensus qui se dégage toujours dans le sens de l’intérêt de l’institution ou en tout cas, des besoins des pays africains.

 

Monsieur le Gouverneur, on a envie de dire : « Ok vous avez le pouvoir ; mais on est quand-même surpris en disant il y avait un seul CFA – jusqu’à une certaine date – du jour au lendemain, qui décide qu’il va y avoir deux CFA ? » Comme on le dit et on l’écrit partout, n’est-ce pas pour celui sur qui on est arrimé, de diviser pour mieux régner, d’avoir un CFA pour la zone Cemac et un autre pour la zone Uemoa. Alors que les deux réunies auraient été beaucoup plus fort.

 

Oui certainement, mais là encore il y a une confusion parce qu’historiquement, les deux zones n’ont pas été créées au même moment ; il y a une créée en 1962 et une autre en 1972.  Mais ils ont toujours le même CFA, les mêmes principes de fonctionnement et beaucoup de choses sont similaires et identiques dans le mode d’articulation de la politique monétaire et des organes de décision.

 

Ce dont vous parlez, c’est tout simplement à un certain moment, les billets de la zone Cemac et de la zone UEMOA s’échangeaient sans difficulté. Ce n’est pas la France, c’est un fait historique qui est à la base de cela. Parce que le fait justement qu’on ait eu une monnaie convertible, a fait que d’autres pays se sont intéressés à cette monnaie-là. Et par l’intermédiaire justement des billets – parce que les billets CFA s’échangeaient partout dans le monde à l’époque – d’autres structures l’exportaient. Je vous donne un exemple : au moment où on a décidé de ne plus racheter notre billet à l’extérieur, nous avons eu un entretien avec un opérateur économique de la sous-région (que je ne veux pas citer). Et il m’a dit : « Ecoutez, moi j’ai 19 cantines de billets de 10.000F. Qu’est-ce que je fais ? » Et comme nous avons décidé de ne pas racheter, tout ce que vous pouvez faire, c’est de rentrer avec le Fcfa dans le pays et le déposer dans une banque. Mais ce qui n’a pas été fait parce qu’il faut pouvoir justifier à la douane pourquoi vous avez 19 cantines de billets de 10.000F qui ne font pas partie de la monnaie qui circule dans vos pays ? Ça veut dire que les pays en ont fait une monnaie de réserve.

 

Alors, le problème est que ça coûtait de plus en plus cher à nos économies de pouvoir financer les opérations de ces pays par les sorties massives de billets. Alors nous avons arrêté de racheter ; mais en le faisant, ça bloque naturellement un certain nombre de transfert et de circulation de billets entre les deux zones. Nous sommes en train de réfléchir pour reprendre cela. Mais qu’est-ce qui bloque ? Entre-temps, il y a eu de nouvelles règles sur le financement des terroristes, sur le blanchiment et c’est des règles qui sont très rigides et doivent être respectées scrupuleusement. Donc des mécanismes sont en train d’être mis en place pour en arriver là.

 

Comment comprendre que quelqu’un qui vient de l’Afrique centrale ne puisse pas convertir son CFA en CFA d’Afrique de l’Ouest, ça pose problème !

 

Oui, je comprends. Effectivement ça peut être gênant pour les opérateurs, mais il y a mieux, seuls les billets qui ne se déplacent pas. Les opérations normales se font par les circuits financiers normaux ; il y a que le déplacement de billet qui pose problème.

 

C’est l’informel qui joue ce rôle assez important.

 

Il faut aussi que de plus en plus les paiements soient sécurisés et qu’ils soient faits dans les règles qui sont appropriées pour cela. Maintenant, les petits déplacements avec les petites sommes, c’est des choses que nous sommes en train de régler de manière à ce que, on n’échappe pas à ces contrôles qui se font. Est-ce que ces contrôles sont importants et peuvent mettre en cause – à un certain moment – la crédibilité d’un système de paiement ? Mais nous sommes en discussion pour arriver à un consensus.

 

Est-ce que tout ça-là n’est pas une question d’intégration régionale Monsieur le Gouverneur, qu’on en arrive là, telle qu’on soit dans un grand ensemble (Afrique de l’Ouest, Afrique centrale), qu’ils soient une zone économique viable qui permet de créer tout simplement une monnaie qui correspond aux économies de ces pays-là ?

 

Oui, c’est possible ! C’est le vœu de tout un chacun ; un Africain ne peut pas dire : « Je ne suis pas pour les regroupements ». C’est là que je vais donner raison aux pères fondateurs du Fcfa. Au niveau de l’UEMOA et de la zone CEMAC, le fait d’avoir cette intégration depuis ce temps, jusqu’aujourd’hui, mais il n’y a pas eu d’autres formes d’intégration. Je prends l’exemple tout simplement de l’Afrique de l’Ouest où il a été question à un moment pour que nous arrivions justement à la monnaie commune qu’il y ait une autre zone monétaire qui se crée mais pendant plus de dix ans, elle n’a pas pu se créer ; pourquoi ? Parce que justement aujourd’hui, les convergences qu’on recherche seront de plus en plus difficiles à trouver. Et c’est pour ça aussi qu’il faut saluer les pères fondateurs et maintenir ces zones ; car ce qu’elles ont franchi comme obstacles est difficile.

 

Avec la même monnaie ?

 

Avec la même monnaie, pourquoi pas ?

 

Est-ce qu’on ne se libérera jamais de ce CFA, est-ce à dire qu’il n’y a pas moyen de sortir de ce CFA et de créer quelque chose qui soit équivalent ?

 

Non, on ne sort pas d’une monnaie qui vous appartient. Le CFA nous appartient. Vous voulez qu’on sorte et qu’on aille où ? L’acronyme c’est une question d’appellation. Le CFA, c’est nous, c’est notre monnaie qui a été appropriée. Si vous suivez un peu la chronologie des choses qui se sont passées, même l’institution la BCEAO qui gère cette monnaie, elle a été africanisée depuis 1978 ; il n’y a aucun cadre extérieur à la tête de la banque centrale (…). Tout ce qui a été construit comme réformes pour que nos pays arrivent aujourd’hui à des zones de croissance et des croissances les plus fortes dans le monde actuellement, c’est parce que tout simplement, il y a eu un travail qui a été fait.

 

On sait que dans le monde des affaires, on ne fait pas les choses pour la gentillesse et la philanthropie, il y a toujours des intérêts ; si la France accepte cet arrimage jusqu’à cette date, elle aussi en profite. Parce qu’on a écouté le Président Emmanuel Macron dire que le CFA sert à l’Afrique. Est-ce qu’elle ne sert pas aussi les intérêts de la France ? Très honnêtement, vous allez nous dire pour la stabilité, on peut le comprendre, mais il ne faut pas laisser croire que la France ne fait de la philanthropie ?

 

Ce qui est important pour nous, c’est que nous connaissons ce que ça apporte à nos pays.

 

Avec les réserves d’échanges que l’on dépose au Trésor français, qui représentent plusieurs cinquantaines de milliards, ça pourrait de l’argent qui serve au développement de l’économie de tous les jours et c’est  de l’argent qui manque à l’investissement.

 

Je suis désolé de vous dire que ceux qui disent ça ne connaissent pas l’économie française et ne connaissent pas les besoins de cette économie. L’économie française par rapport à nous, ce que nous avons au compte d’opération, ce n’est même pas une goutte d’eau.

 

Mais ça représente beaucoup pour nous.

 

Ça représente beaucoup pour nous, mais ça ne représente pratiquement rien pour la France. Parce qu’il y a les chiffres. Cela nécessite qu’on mette en place les chiffres et qu’on dise – je n’ai malheureusement pas les derniers chiffres – que c’est une goutte d’eau ; ce n’est rien du tout !

Parce contre c’est important pour nous parce que : Si les investisseurs qui viennent investir dans nos pays n’avaient pas la possibilité avec la convertibilité du Fcfa de pouvoir faire des transactions extérieures, il y a longtemps que l’investissement ça serait arrêté ; Si nos propres opérateurs ici qui ont besoin de faire des transactions à l’extérieur ne pouvaient pas le faire parce que la monnaie n’est pas convertible, ça serait arrêté ; Si les autres pays qui nous entourent et qui jusque-là pour certains, le FCFA est une monnaie de réserve, si ça ne l’était pas, ils n’auraient pas eu ça. Alors ça veut dire que, ce que nous devons prendre en considération, c’est ce que nous, ça nous apporte ; et ça nous le savons.

 

Nous allons payer pour ça aussi…

 

Je ne sais pas si c’est un prix mais je ne suis pas persuadé que, de toutes les façons, ce soit en rapport avec ce que nous gagnons.

 

Avec la chute des cours des matières premières, les réserves dans le compte d’opération de change ont baissé considérablement et de façon presque officielle, on parle de plus en plus d’une menace de dévaluation. Après celle de 1994, on risque encore de tomber dans une dévaluation ; est-ce que c’est nécessaire aujourd’hui ? M. le Gouverneur, est-ce que ce n’est pas une menace encore, une façon de fragiliser les économies de cette région ?

 

Vous savez, si vous demandez à un Gouverneur de banque centrale s’il va avoir une dévaluation, je suis sûr que vous vous n’attendez pas à une réponse.

 

Ça c’est clair !

 

Mais si vous me demandez de vous dire quelque chose sur la situation actuelle, moi je pense que la dévaluation n’est pas la seule solution de baisse des réserves de change, de baisse d’activité. Parce que cela est dû tout simplement à ce que les prix de certaines matières premières ont baissé. La solution définitive que nous recommandons en tant que banque centrale, c’est la diversification dans nos économies.

 

Mais on dit ça depuis longtemps, ça se diversifie.

 

Oui, ça se diversifie mais ça prend peut-être du temps pour dire que je construis une usine pour traiter sur place un certain nombre de produits : ça suppose que vous ayez les moyens de construire cette usine ; si un privé ne vient pas construire, ça veut dire que vous avez les machines que vous pouvez contenir ; ça veut dire qu’il y a beaucoup de choses. Je crois que nous sommes entrés dans une phase très importante : tous les pays ont mis en place des plans de développement qui ont été soutenus par toute la communauté internationale avec même des appuis budgétaires et des appuis financiers. Je crois que c’est le moment de s’intéresser à ça.

 

Alors faut-il oui ou non dévaluer ? Vous avez dit que le Gouverneur ne peut pas dire si on va dévaluer ou non (vous êtes dans votre rôle), mais en regardant ces économies avec la chute des matières premières, le fait qu’une bonne partie de cette zone du CFA, (CEMAC) ait sérieusement consommée ses réserves, est-ce que c’est nécessaire aujourd’hui d’évaluer ? Quelle est la solution pour éviter cela parce qu’il y a une vraie menace de crise sociale si l’on dévalue.

 

D’abord la dévaluation n’est pas inscrite à l’ordre du jour que je connais. De plus, ce que je vous dis, ce n’est pas la seule solution ; parce qu’il y a d’autres solutions qui peuvent permettre de rétablir les équilibres sans que ce soit une dévaluation. La dévaluation c’est une décision ponctuelle et si les objectifs ne sont pas atteints ça veut dire que cela peut être répétitif. Donc ce n’est pas obligatoirement la solution. La solution justement, c’est de faire de telle sorte que les économies progressent en se diversifiant. Et ça, je pense que c’est tout à fait possible. De toute façon, dépendre d’un seul ou de deux produits, ça expose.

 

Quand c’est le Gouverneur qui dit ça, on se demande qu’avez-vous fait pour diversifier cette économie depuis que vous êtes aux affaires ? Concrètement qu’est-ce que vous avez fait pour qu’on voir de plus en plus des industries naître dans votre région à vous de la BCEAO ?

 

La banque centrale a fait beaucoup. Notre rôle, c’est de soutenir l’économie financière ; mais on ne le fait pas directement parce que nous, nous finançons les banques et les institutions qui financent les économies. Ce financement peut venir soit des banques ou des institutions. Ce qui est important, nous contribuons à structurer et à organiser ces financements. Je prends un exemple bien plus simple : il y a quelques temps, nos Etats ne savaient même pas comment mobiliser de l’argent, des financements à l’intérieur. Il a fallu tout simplement construire un marché de la dette publique. Ce marché a été construit, organisé et il a fallu peut-être les aider car tous les pays n’ont pas cette culture du marché. Donc, ça c’est un pas en avant quand je vois aujourd’hui le financement que les Etats mobilisent sur ce marché. Et c’est ce que nous devons faire ; chacun a son rôle.

 

La création de la richesse, c’est la production qui demande que les économies soient renforcées, ce n’est pas le domaine monétaire ; mais plutôt le domaine de la production, de la programmation et de la croissance du développement qui visent tous les secteurs d’activité. Les économistes et tout le monde devraient s’intéresser à cela pour voir est-ce que l’articulation est bonne, le rendu est bon, les investissements qui sont prévus sont faits  à un certain moment ? Je crois que ça, c’est important. Parce que conseiller utilement les Etats à un certain moment en suivant ces genres de chose, fait partie de nos prérogatives.

 

J’aimerais qu’on parle à Monsieur tout le monde, ceux qui défilent dans la rue et non à des spécialistes des finances à la question suivante : Doit-on conserver le CFA ? En quoi est-ce qu’il faut conserver le CFA ? Et pourquoi ne créons-nous pas une autre monnaie ? C’est utile pour nous le CFA ?

 

Très utile !

 

En quoi ? Pour Mme Coulibaly Traoré qui est à Bamako, elle demande pourquoi garde-t-on la monnaie du Blanc. Vous lui répondez quoi ?

 

Je lui dis que ce n’est pas la monnaie du Blanc. Et ça ne sera pas la monnaie du Blanc. Dès le départ, ce n’est pas la monnaie du Blanc. Alors si nous décidons que c’est la monnaie du Blanc, en ce moment, nous la donnons au Blanc.

 

A quoi servent alors la stabilité monétaire, la garantie que vous parlez ?

 

La stabilité pour elle c’est important – c’est une mère de famille- quand elle va au marché, elle sait qu’elle peut faire les dépenses parce qu’elle a les moyens pour le faire. Mais si les prix augmentent tous les jours, il y aura un jour, où elle ne pourra pas acheter ce dont elle a besoin pour nourrir sa famille, parce qu’elle ne peut plus supporter les prix ; parce que ses revenus n’ont pas augmenté de la même façon.

Il y a des pères de familles qui ont des enfants qui sont à l’extérieur, à qui ils envoient régulièrement de l’argent pour leur bourse. Si l’argent n’était pas convertible, ça n’aurait pas été possible. Mais c’est parce qu’elle est convertible qu’ils peuvent le faire. Et si la stabilité n’est pas aussi observée, ça veut dire que tous les deux mois, ils vont devoir envoyer le double ou le triple de ce qu’il faut.

 

Ils ne peuvent pas prévoir un gros et prévoir sur la durée ?

 

Ils ne peuvent le faire à certain moment parce que leur revenu leur permet de le faire. Je veux vous dire une chose : une monnaie quand elle n’est pas bonne pour la population, on  n’a même pas besoin de demander à la population de descendre dans les rues. Ce qu’on fait, c’est de les empêcher de descendre dans la rue en Afrique. Le Fcfa ne nous amène pas à cela.

 

Il faut peut-être le concevoir, l’envisager différemment et avoir un arrangement avec un seul pays, voir si le passif est houleux même si on a beaucoup de choses à dire sur la question.

 

Toutes les évolutions sont possibles à condition qu’il soit quelque chose qui serve le pays. Il y a une monnaie et on ne peut pas créer une monnaie. Si vous dites que l’articulation de cette monnaie peut évoluer ; mais ça évoluera avec les besoins économiques.

Par exemple, le cheminement qui a été fait par les pères fondateurs du Fcfa, c’est exactement ce qui a été fait pour le Rand sud-africain. Le Rand sud-africain a été créé à un moment où on était en plein apartheid qui a été plus dure que la colonisation normale, mais au sortir de-là, la majorité blanche qui a pris le pouvoir n’a pas décrier le Rand sud-africain ; ils l’ont conservé et ils se sont appropriés. Et c’est là, la notion de l’appropriation qui veut qu’ils le gèrent, ils savent ce qu’ils font de cette monnaie. Que ce soit dans la presse ou ailleurs, vous n’entendrez jamais que le Rand sud-africain est une monnaie de l’apartheid.

 

Entretien réalisé par Alain Foka :

 

Transcription : Aline ASSANKPON


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