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Interview / L’accès des femmes à la terre : « De plus en plus, les femmes achètent leur terre ; mais elles sont tenues de travailler dans le champ de leur mari »


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Mme Oumar Sangaré Zénabou, Ancienne Chef d’arrondissement, Conseillère communale actuellement à Bembèrèkè relate à travers cet entretien la situation des femmes rurales surtout celles de Bembèrèkè, une ville du Bénin située au Nord du pays en lien avec l’accès à la terre et l’agriculture.

L-integration.com : En tant qu’élue communal, vous êtes bien imprégnée des problèmes fonciers dans votre commune. Parlez-nous-en un peu.

Ph/DR-: Mme Oumar Sangaré Zénabou, Conseillère communale  à Bembèrèkè.

Ph/DR-: Mme Oumar Sangaré Zénabou, Conseillère communale à Bembèrèkè.

Mme Oumar Sangaré Zénabou: Vous savez, il y a les pesanteurs socio-culturelle qui ont un effet néfaste dans la vie de nos sœurs dans nos villages. Selon nos coutumes, le chef coutumier ou traditionnel  est le propriétaire terrien, c’est-à-dire le maître des terres ; c’est lui qui détient la propriété de toutes les terres dans notre commune. C’est pourquoi, il y a souvent un conflit d’attribution des terres entre le chef traditionnel et les chefs de villages appelés délégués. On assiste également des conflits entre les autorités et les chefs coutumiers en général.

Et  par rapport aux conflits auxquels sont exposées les femmes, ça se passe comment ?

Dans notre commune, une femme ne peut s’hasarder à dire qu’elle veut acheter une parcelle ou terrain sans l’accord de son époux, par exemple au cours d’un lotissement. On dira qu’elle est en train de vouloir divorcer. D’emblée, les champs appartiennent aux hommes en général. Aucune femme ne peut détenir un champ. Si on la voit labourer ou cultiver un champ, c’est qu’elle est en train d’aider son mari. Même les travaux maraichères (légumes et autres) elle ne peut les cultiver que lorsque l’époux fini ses travaux champêtres et quelle trouve  des espaces non cultivés aux abords des champs, quelle peut les utiliser.

Est-ce que vous êtes en train de nous dire qu’à Bembèrèkè, aucune femme ne peut être détentrice d’une parcelle de terre ?

Non, ça change aujourd’hui avec les multiples séances de sensibilisation. Dites-vous que la première mandature n’avait pas eu de femme. A la seconde mandature, il y a eu trois femmes.

C’est une avancée !

Justement et nous avons multiplié les sensibilisations à tous les niveaux (chefs de partis, groupements de femmes, chefs traditionnels et religieux). Nous avons commencé par organiser les femmes autour d’une activité génératrice de revenus. Donc au sein de ce groupement, elles ont eu la possibilité d’acheter des terres pour leurs activités. Ainsi, dès lors qu’il y a lotissement, elles achètent des terrains pour mener leurs activités. Aujourd’hui, elles achètent des parcelles, construisent et mettent cela en location aux étrangers. Dans les zones urbaines, le problème d’achat de terre ne se pose plus ; mais c’est surtout dans les villages où détenir une terre cultivable est un problème. Parce qu’on lui fait l’obligation de travailler dans le champ de son mari donc elle ne peut prétendre disposer d’un champ à elle-même.

Autrement dit, lorsqu’elle cultive le champ de son époux, les revenus reviennent à ce dernier ?

Automatiquement ! Je vous expose un cas de figure : Après la récolte du maïs, un mari a envoyé son épouse vendre une bassine de maïs au marché ; après la vente, celle-ci a acheté quelques condiments pour la sauce à la maison. Mais le mari n’a voulu rien comprendre et a intimé l’ordre à la femme de rembourser cette petite dépense.

Donc, après la récolte, c’est elle qui commercialise et retourne la totalité des sous au mari. Elle travaille au même titre que le mari mais tous les revenus appartiennent à l’homme parce que c’est son champ.

Donc, elle n’a rien en fait !

Non, après la récolte, on lui donne sa dotation pour la maison et non pour la vente. On peut lui donner un sac de maïs par exemple et pour le moulin, elle se débrouille. Elle ne doit pas prendre une partie de ce maïs, pour faire du commerce et avoir quelques sous. C’est impossible. Si elle tient à faire un petit commerce, elle doit chercher le capital ailleurs.

Et qu’en est-il du partage de l’héritage ?

La femme n’a pas droit à l’héritage ni chez son père, ni chez son mari. Ce sont les frères et beaux-frères qui s’en accaparent. Difficile aussi pour le fils aîné d’hériter le champ de son père parce que les oncles sont là pour s’en accaparer.

"La présence de la femme dans le champ de son mari est nécessaire"

« La présence de la femme dans le champ de son mari est nécessaire »

Disons que ces comportements sont rétrogrades et que beaucoup de choses changent de nos jours. A quel niveau, le confirmez-vous ?

Oui, il y a beaucoup de changements aujourd’hui. Surtout au niveau des chefs du village, des chefs coutumiers. Parce qu’on leur a fait comprendre que la décentralisation ne leur donne pas le droit d’être entièrement propriétaire terrien. Les autorités communales sont là pour gérer les terres. En ce moment-là, n’importe quel citoyen peut acquérir un terrain au niveau de la Mairie et ils ne seront pas impliqués parce que les papiers d’acquisition sont délivrés par la Mairie.

Donc, une femme peut (en cachette) acheter un domaine et mettre le nom de son fils. Mais c’est surtout les champs qui continuent par poser des problèmes. Aussi, il faut reconnaitre qu’aujourd’hui, la femme qui a les moyens peut acheter des terres cultivables, engagé des  manœuvres pour les travaux difficiles (défrichage par exemple).

De plus en plus, les femmes achètent leur terre ; mais elles sont tenues de travailler dans le champ de leur mari. Même si elles engagent des gens pour travailler dans leurs propres champs, elles doivent obligatoirement travailler dans le champ de leurs maris. C’est la tradition, ce que nous appelons pesanteurs socio-culturelles.

Et si physiquement, la femme n’est pas valide pour les travaux champêtres ?

Il y a des travaux qu’elle peut faire. Et elle le fera forcément. Elle le sait, puisqu’elle est née dedans. C’est la tradition. Elle va enlever les herbes, faire la récolte par exemple. Elle est contrainte de travailler dans le champ de son mari. Sa présence dans le champ de son mari est nécessaire.

En tant qu’élue communale, vous avez connaissance souvent des conflits fonciers. Illustrez-nous un cas de conflit.

Une femme qui, à partir des activités génératrices de revenus a trouvé des moyens pour construire une case sur le domaine de son époux, absent du territoire. Afin de pouvoir s’isoler un peu de la grande famille et faire plaisir à son époux.  Mais au retour de ce dernier du Nigéria, la femme a été traduite en justice chez le chef de famille. Jugée sous prétexte qu’elle n’a obtenu aucune autorisation de la part de son époux, ni de la famille, elle est traitée de prostituée et chassée de la famille. Cela a été une cause de divorce. Et on lui a dit qu’elle n’a fait que des filles et qu’elle veut s’accaparer de l’héritage de son époux et qu’elle mijote d’empoisonner celui-ci. Chassée de la maison construite avec ses enfants, ce sont les frères de l’époux et leurs femmes qui y habitent désormais.

Propos receuillis par : Aline ASSANKPON


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