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Sécurité alimentaire : Le temps de consommer local


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Les Africains mangent comme tout le monde, mais ce qu’ils mangent n’est pas nécessairement bon pour eux. Le pain blanc à la confiture et au beurre est en passe de prendre le pas au petit déjeuner sur la bouillie traditionnelle. Des études montrent qu’au cours des 50 dernières années les Africains ont radicalement changé leur régime alimentaire et consomment de plus en plus les mêmes aliments que le monde industrialisé. Dans au moins 18 pays africains, les gens ont modifié à plus de 25% la composition de leur assiette.  

« D'ici à 2020, l’alimentation de l’Afrique pourrait rapidement conduire à une catastrophe sanitaire avec son lot de conséquences économiques et sociales »

« D’ici à 2020, l’alimentation de l’Afrique pourrait rapidement conduire à une catastrophe sanitaire avec son lot de conséquences économiques et sociales »

Les tendances montrent que les gens satisfont leurs besoins en calories par une consommation accrue de blé, de riz, de maïs, de sucre et d’oléagineux tels que le soja et le tournesol. On assiste aussi à une dépendance croissante vis-à-vis d’une gamme limitée de cultures pour satisfaire les besoins alimentaires. Les gens mangent moins de céréales traditionnelles et de tubercules, contribuant ainsi à un recul mondial de la consommation de sorgho de 52%, de mil de 45%, de manioc de 38% et de 45% de patates douces, au cours des cinquante dernières années

Les pratiques culturales se métamorphosent.

En 1961, il fallait cultiver 1,37 milliards d’hectares pour nourrir 3,5 milliards de personnes. Aujourd’hui, presque la même superficie  suffit pour nourrir deux fois plus de personnes. Remarquable exploit s’il en est, d’autant plus que dans les années 60, des pays comme l’Inde étaient au bord de la famine. Viennent ensuite la Révolution verte des années 70 et le boom technologique des années 80 qui ont permis d’accroître considérablement les rendements agricoles et par voie de conséquence la production alimentaire. Malheureusement, il n’ya pas eu en Afrique de révolution verte.

Afrique, continent importateur net de produits agricoles

Alors que les bénéficiaires de la Révolution verte affichaient des récoltes exceptionnelles, le continent, lui, devenait importateur net de produits agricoles, en dépit de son potentiel agricole énorme. La consommation de céréales comme le riz, le maïs, le blé et les produits animaux, y compris les produits laitiers et la viande, a augmenté entre 1980 et 2007. Cela représentait au moins 50% du total des importations alimentaires de l’Afrique tandis que la consommation de céréales traditionnelles diminuait. Il y avait, bien sûr, quelques exceptions.

Le Ghana a pu tirer son épingle du jeu…

C’est ainsi que l’alimentation au Ghana est restée relativement diversifiée et traditionnelle. Parmi les facteurs y ayant contribué figure le fait que pendant la même période du milieu des années 80, le Ghana avait accru la production alimentaire par habitant de plus de 80%. L’offre alimentaire avait augmenté plus rapidement que la population, permettant ainsi au pays d’être largement autosuffisant en aliments de base comme le taro, le manioc, les patates douces et l’igname. De fait, le Ghana s’est classé parmi les cinq pays du monde ayant la plus forte croissance agricole.

Carlos Lopez, Secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA)

Carlos Lopez, Secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA)

Des facteurs tels que l’urbanisation rapide, la conjoncture démographique et la libéralisation du commerce ont influencé les habitudes alimentaires actuelles de la majorité des Africains. Par exemple, à l’heure actuelle, plus de 40% de la population du continent vivent en zones urbaines. Le pouvoir d’achat de la classe moyenne, le changement de son style de vie et ses tendances de consommation jouent un grand rôle dans le type de nourritures qui se trouve sur la table. Ce nouveau modèle de consommation se caractérise en grande partie par de la nourriture emballée, rapide, importée et transformée.

La libéralisation du commerce et la mondialisation des systèmes alimentaires ont élargi le choix des consommateurs et transformé les régimes alimentaires traditionnels africains en y apportant des aliments plus riches en calories et plus énergétiques, qui sont typiques des pays développés, avec de plus grandes quantités de produits carnés et laitiers, de céréales non traditionnels et d’aliments fortement transformés. Les sociétés transnationales agro-alimentaires comme Nestlé et Kraft ont perçu très tôt les avantages économiques qu’ils pouvaient tirer de leurs activités dans les pays peuplés d’Afrique et en offrant des services à une classe moyenne en essor et prête à dépenser. Lorsque les supermarchés commencent à pousser un peu partout, offrant des aliments transformés et à la portée de tous sur leurs étagères, certains assurant même un service de 24 heures sur 24, le message était clair.

La suralimentation, l’un des enjeux

La suralimentation est devenue un enjeu de santé publique aussi important que la sous-alimentation. Les conséquences sanitaires accompagnant le changement de régime alimentaire en Afriques sont énormes au regard des problèmes auxquels d’autres régions avaient été confrontées auparavant. On assiste à une montée de maladies non transmissibles comme les affections cardiovasculaires, le diabète, le cancer et l’obésité en lien avec le mode de vie et l’alimentation de la classe moyenne africaine.

En outre, les projections de l’Organisation mondiale de la Santé indiquent que, d’ici à 2020, l’Afrique sera la région la plus touchée par les décès dus à des maladies non transmissibles. Si l’on n’y prend garde, son alimentation pourrait rapidement conduire l’Afrique à une catastrophe sanitaire, avec son lot de conséquences économiques et sociales.

L’homogénéité croissante des cultures et l’échec à assurer la durabilité des aliments locaux représentent une menace pour la sécurité alimentaire. Des semences à haut rendement, moins variées et plus uniformes qui sont cultivées sur de grandes surfaces rendent l’approvisionnement alimentaire mondial plus vulnérable à des risques tels que les parasites et les maladies, ainsi qu’aux changements climatiques.

Revenir aux régimes alimentaires traditionnels pour inverser la tendance

Tant que la population de l’Afrique continue de croître et la pression alimentaire d’augmenter encore plus, il n’y a pas d’autre choix que de trouver de nouveaux substituts et de diversifier les sources d’alimentation. Qu’y a-t-il de plus facile en ce cas que d’aller vers l’alimentation locale? Revenir aux divers régimes alimentaires traditionnels aiderait à lutter contre de nombreuses maladies et l’insécurité alimentaire.

S’agissant de la sécurité alimentaire, l’Afrique abrite plus de 874 millions d’hectares de terres propices à la production agricole. Avec moins de 10% des terres arables actuellement utilisées pour la production alimentaire, des possibilités existent d’étendre ces superficies pour augmenter la production locale. Seulement 6% des terres arables en Afrique sont irriguées, pour autant, le continent peut irriguer près de 40 millions d’hectares (10%) et stimuler la production agricole de 50%.

Un si immense potentiel agricole inexploité peut tout changer. Il est vrai qu’il reste aux pays africains d’importants progrès à faire pour ajouter de la valeur aux produits agricoles primaires. Les pays du continent représentent ensemble moins de10% de la création de valeur ajoutée à l’échelle mondiale et le rapport coût des échanges/ production est de 12% pour l’Afrique, contre 4%pour l’Europe occidentale, ou 7% pour l’Amérique latine. Grâce à des investissements et des partenariats public-privé adéquats en matière de recherche-développement, la diversité génétique et la qualité nutritionnelle des cultures locales peuvent être assurée. Le recours à l’agriculture moderne et à l’agro-industrie est indispensable pour renforcer la chaîne d’approvisionnement alimentaire traditionnel et le secteur de la distribution alimentaire.

Tirer les leçons de la politique nigériane ou de la Corée du Sud

Augmenter la production d’aliments locaux pourrait permettre de réduire les coûts. Davantage de pays devraient peut-être tirer les leçons de la politique nigériane d’intégration du manioc, qui favorise la farine à pain composite constituée de la farine de manioc et celle de blé et permettant de produire du pain plus sain. Cette politique s’est traduite par la réduction des importations de blé en introduisant la farine de manioc. La production et la transformation du manioc national ont été stimulées et des emplois créés.

De futures politiques alimentaires ne seront efficaces que si elles sont élaborées de concert avec les secteurs agricole et de santé et qu’elles intègrent les apports de ces secteurs. Des campagnes de sensibilisations dynamiques doivent être menées en faveur de régimes alimentaires plus sains. On peut à cet égard s’inspirer de la Corée du Sud, qui, il y a vingt ans, avait organisé une grande campagne d’éducation du public destinée à réduire les taux d’obésité, en favorisant l’alimentation traditionnelle pauvre en sel, en graisses et en huiles et riche en légumes.


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