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Entretien avec le Professeur Placide Clédjo de l’UAC sur la rareté des pluies au Bénin : « Le problème est plus scientifique que mystique… »


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Le Bénin a un climat tropical chaud et humide dans l’ensemble avec des nuances saisonnières et géographiques. Au Sud, nous disposons de quatre saisons (Une grande saison pluvieuse, une petite saison pluvieuse et une grande saison sèche et une petite saison de récession pluviométrique).

Tandis que le Nord dispose de deux grandes saisons (pluvieuse et sèche). Compte tenu des perturbations climatiques enregistrées depuis quelques années, on assiste à un décalage des calendriers agricoles pour absence de pluie. Toutes les confessions religieuses sont sollicitées à travers le pays pour implorer la miséricorde divine afin que dame pluie soit au rendez-vous. Un entretien avec le Prof Placide Clédjo, Directeur général adjoint du Centre Béninois de Recherches Scientifiques et Technologiques (CBRST) – Enseignant à l’UAC, Maître de conférences en Environnement et Aménagement du Territoire et Climatologue de formation – nous renseigne davantage sur les contours du paramètre climatique au Bénin, en Afrique et dans le monde. 

 

Prof Placide CLEDJO, Climatologue

Prof Placide CLEDJO, Climatologue

L’Autre Quotidien : Professeur Clédjo, au Sud du Bénin la grande saison pluvieuse n’a pas été abondante cette année, même constat avec l’unique saison pluvieuse du Nord. Qu’est-ce qui justifie cette rareté de pluie ?

Prof Placide Clédjo : C’est un mouvement d’ensemble qui a commencé depuis l’Europe. Il y a eu beaucoup d’inondations en France et cette année on a même eu un Tsunami de neiges pas tombées du ciel mais repoussées par la mer. Cette année aussi, il y a eu pas mal de canicule, toujours en Europe et ce qui a compliqué tout, c’est que le carbone dans l’air a atteint les 400 PPM (l’unité de mesure du carbone). Alors qu’on n’a jamais atteint ce taux. En 1936, on a atteint un taux qui se rapproche de 300 et quelques et les calculs scientifiques disaient que si on atteignait 400, c’est grave pour l’humanité.

Donc, c’est les effets pervers du taux élevé du carbone ?

Justement, c’est les conséquences qui ont commencé et qui entraînent évidemment des perturbations climatiques qu’on remarque surtout au niveau de la concentration de la pluie ou bien de la rareté de la pluie. Avec cette concentration de Co2, dans l’atmosphère, il y aura soit une sécheresse ou une abondante de pluie. La pluie n’est plus étalée dans le temps pour permettre aux plantes de vivre normalement.

Au Nord, il devrait pleuvoir mais il n’a pas plu du tout, ce qui fait que même, la campagne cotonnière a reçu un coup. Cependant, cela ne veut pas dire qu’il ne va plus pleuvoir ! Chaque année, c’est la même quantité d’eau qui tourne dans le monde entier. La preuve, chez nous, on dit au Nord, il n’y a pas eu pluie, mais il y a inondation à Kandi. On dit actuellement qu’il y a sécheresse mais toutes ces pluies vont tomber en un temps record et cela va encore créer d’autres situations. La pluie ne reste jamais en l’air, ça tombe toujours.

Certes le mois d’Août est celui de fraîcheur par excellence mais l’on enregistre ces temps-ci une accentuation de fraîcheur dès la tombée de la nuit et à l’aube. Qu’est-ce qui justifie cela ?

Ce que nous recevons comme courant d’air qui arrive vers notre pays, au mois d’Août, quitte la mer en fait. La mer étant en Europe congelée, le vent quitte la mer chargé d’humidité et c’est pourquoi c’est frais. Et lorsqu’on va atteindre les mois de Novembre et Décembre, ça va changer. Puisque le vent va quitter les continents pour balayer nos pays et là, ce serait chargé de poussières ; c’est ça qu’on appelle Harmattan.

A cela, s’est ajouté les perturbations climatiques qui font qu’il y a absence de nuages. En fait, les nuages augmentent la température. Puisqu’au lieu que la température de la terre s’échappe pour aller vers l’atmosphère, elle se trouve bloquer par les nuages ; ça revient et réchauffe la terre. Donc, en l’absence de nuages, on ressent plus de fraîcheur.  C’est pourquoi les matins il fait vraiment frais. Dès que les nuages se forment un peu, on ressent de la chaleur. La nuit vers 04 heures du matin, c’est la même chose.

Ce sont donc ces perturbations climatiques qui causent les nuances saisonnières.

Justement, lorsqu’on a commencé par enregistrer les anomalies en Europe, moi j’avertissais ici déjà pour dire : « Attention, la saison sera perturbée ». Ceux qui se sont approchés de moi pour parler d’inondation, je leur ai dit non, cette année ne serait pas comme les autres où on a eu d’inondation, c’est la sécheresse qui va marquer la période de pluie. On ne va pas avoir beaucoup de pluies mais cela n’empêchera pas les inondations et ce ne serait pas les mêmes formes d’inondations. On a enregistré ce phénomène un peu partout dans le monde surtout des inondations.

Mais en réalité, ce sont nos activités humaines qui nous tuent aujourd’hui à travers la consommation abusive du pétrole (Essence, Gaz-oil, etc) qui cause ces perturbations climatiques. Nous consommons beaucoup de pétrole chargé de Co2 que nous envoyons dans l’atmosphère.

Face à la rareté de la pluie, on assiste depuis quelques semaines à des séances de prières dans tout le pays pour attirer la pluie. Quel est le regard du climatologue vous êtes ?

Il faut faire la part des choses, celui qui a la charge du pays a une grande responsabilité surtout qu’il s’est engagé dans la filière coton qui doit nous donner de l’argent parce qu’on n’a pas de pétrole. Mais le volet climatique n’a pas été associé à ses engagements. Il faut faire l’analyse sur deux plans : il y a le côté scientifique et le côté mystique ou spirituel.

Tout ce qui entoure le coton fait qu’on ne peut pas exclure le côté mystique. Pour faire échouer la campagne cotonnière on peut jouer sur la pluie. Parce que les nôtres ont la possibilité d’empêcher la pluie ou de provoquer la pluie. Donc c’est sur ce plan que le président de la République invite toutes les confessions religieuses à prier pour que la pluie puisse arriver.

Mais sur le plan scientifique, en climatologie avant de tirer une conclusion, il faut prendre les données météorologiques sur 30 ans. Autrement dit, nous faisons la prévention. Lorsque les États-Unis, l’Europe, la France avaient des problèmes, je parlais déjà des difficultés qu’on a actuellement. C’est pourquoi le problème est plus scientifique que mystique. Avec ces perturbations, il y aura décalage du calendrier agricole, on ne peut plus semer le coton au même moment. Et lorsque le Co2 est allé à 400 PPM, il faut savoir que c’est très grave, le rubicond est franchi. Le problème est scientifique mais je n’exclue pas le côté mystique de la chose.

Scientifiquement, il y a des actions à mener dès que les perturbations sont enregistrées. Il suffit de modifier le calendrier agricole et de s’adapter. Dans le domaine de changement climatique, c’est l’adaptation qui est conseillé en Afrique. Nous n’avons pas la possibilité de faire tomber la pluie mais on peut s’adapter.

En dehors des perturbations quels sont les effets néfastes du taux élevé du carbone sur l’humanité ?

Directement sur la santé des êtres humains, il n’y a pas d’effets néfastes, mais indirectement ces perturbations affectent la production agricoles parce qu’il n’y a pas que le coton mais les produits vivriers aussi et la cherté des cultures vivrières.

En tant que climatologue, quels conseils donnez-vous à nos producteurs, toutes catégories confondues ?

Retournons à l’Université, vers les chercheurs pour que nous puissions connaître davantage les paramètres climatiques afin de nous adapter et dominer les changements climatiques. Parce que nos activités aujourd’hui à coup sûr, ont fait changer le climat et si le climat change, il faut s’adapter à ça. Il n’est pas question de parler des Européens ou des Chinois, nous sommes tous concernés. Chacun doit œuvrer pour le bien-être de l’humanité. La terre aujourd’hui est une maison commune et l’atmosphère n’est pas confinée à un seul endroit. Dès que vous posez un acte sur la terre, tout le monde ressent. Dès que nous aurons les bonnes habitudes chez nous d’autres vont en profiter.

Propos recueillis par

Aline ASSANKPON


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