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 » Bris de silence », un ouvrage satirique sur les violences faites aux femmes : Angela Kpéïdja lève un coin de voile sur sa publication


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Ph/DR: Angela Kpéïdja sur Télésud: « … c’est avant tout, une aventure thérapeutique que j’enclenche dans l’espoir d’atteindre un apaisement intérieur ; mieux une guérison ».

Journaliste à l’Office de Radio et Télévision du Bénin (ORTB), auteure d’une autobiographie, intitulée « Bris de silence » publiée en août dernier, Angela Kpéïdja est revenue sur les tenants et aboutissants de son ouvrage sur la chaîne française, Télésud, le 7 septembre 2021. Après la sortie de cet ouvrage, elle est devenue « le champ de mire de plusieurs attaques » confie-t-elle. Victime à plusieurs reprises de viols, elle a décidé de lever le voile sur les violences faites aux femmes. Activiste aujourd’hui, comprise ou incomprise, elle s’est engagée dans la défense des droits de la femme. C’était l’entretien du jour réalisé par Eméric Tohouégnon du Télésud.

Eméric Tohouégnon : Dès l’avant-propos de votre ouvrage, vous donnez déjà le ton à travers cet extrait à la page 9 : «Ce livre n’est ni un pavé que je jette dans la marre, ni une quelconque vengeance contre mes agresseurs, c’est avant tout une aventure thérapeutique que j’enclenche dans l’espoir d’atteindre un apaisement intérieur ; mieux une guérison ». Comment on se sent quand on a été victime du viol d’abord à l’âge de cinq (5) ans, de 10 ans et de 17 ans ?

Angela Kpéïdja : Pour ma part, je suis carrément morte de l’intérieur ; ça n’a pas été facile pour moi, de partir, de lutter et de me battre avec tout ce poids-là, c’est difficile ! Et d’écrire encore, ça été une occasion de revivre ces moments-là entre pleurs et toutes la souffrance, la douleur ; ça n’a pas été facile d’écrire. Mais déjà, mettre des mots sur ce qui m’est arrivé, m’a apporté quand-même un soupçon de guérison. J’ai pensé à m’y faire accepter tout ce qui m’est arrivé, arrêter de me remettre en question pour me dire que le vrai problème ce n’est pas moi, c’est la société.

Ph/DR:  » Bris de silence », une autobiographie de l’auteure sur les violences faites aux femmes

Vous dénoncez d’ailleurs dans votre ouvrage, l’inaction d’une société qui face aux dénonciations de viol, au lieu de protéger la victime, la désigne plutôt comme responsable et couvre ainsi les fautes ou les forfaits du bourreau, le violeur.

C’est ça ! Nous sommes dans une société où tout est tabou. Les choses qui ont rapport avec le sexe sont taboues. Alors même que pour les victimes, c’est une torture morale physique, psychologique et tout. Il y a des victimes qui perdent leur capacité de reproduction tout simplement à cause de ça. Elles n’auront jamais une vie sexuelle correcte. Mais la société n’accepte pas lorsque vous en parlez. La société protège les auteurs. On a l’impression qu’au fur et à mesure qu’on infériorise la femme, on essaie d’exprimer la virilité de l’homme.

Et moi, je me dis que ce n’est pas du tout  normal ! Comment dans une société où les femmes sont des mères, c’est nous qui accouchons les hommes (vous avez une mère certainement), si on passe le temps à atteindre les femmes sur le plan psychologique, à les faire souffrir de cette manière, à les torturer et à les aliéner, quel genre de société voulons-nous construire demain ?

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Moi, à travers cet ouvrage, j’avais bien envie que la société se mire et se pose les réelles questions : Comment comprendre que vous êtes violé et qu’on vous arroge encore le droit de parler, de libérer la parole ? Ce n’est pas normal !

Angela aujourd’hui, vous avez parlé, raconté votre témoignage, vous avez dit toutes les fois où vous avez été victime de violence sexuelle. Comment votre entourage a accueilli cet ouvrage ?

Evidemment, au lieu de s’occuper de la question centrale que je voulais qu’on se pose après lecture de cet ouvrage, la société s’est comportée exactement comme elle se comporte avec les victimes. Je suis le champ de mire de plusieurs attaques. Je suis accablée en ligne, je subis des menaces, des pressions, des intimidations en ligne et beaucoup d’autres choses.

J’essaie de faire avec, juste pour donner de l’espoir à toutes ces victimes qui se retrouvent à travers mon histoire, mon expérience. Mais du point de vue des autorités de notre société en tout cas du Bénin, je crois que cet ouvrage a été bien accueilli ; parce que le Chef de l’Etat (Ndlr : Son Excellence, le président Patrice Talon), lui-même en personne avait déjà reçu l’ouvrage et avait promis que nous irons désormais vers un durcissement des lois. Et il y aura beaucoup de choses qui seront revues très prochainement. Mais la société de façon générale, n’approuve pas le fait que j’ai pu lever le voile sur cette question.

Evidemment, c’est normal, moi je suis spécialiste en communication, je comprends bien que le changement de comportement prenne du temps, mais au fur et à mesure, je pense qu’avec cet ouvrage, les lignes vont bouger. Déjà, mon bénéfice, la question revient dans presque tous les foras, on en parle. Dès lors qu’on en parle, ça enlève déjà le caractère tabou de la question.

Angela Kpéïdja avec votre permission, je voudrais emmener nos chers téléspectateurs dans les lignes de votre ouvrage. A la page 23, vous racontez : « Plus je le repousse, plus il insiste, plus je me débats, plus il force, le lit de la chambre d’hôtel est très petit, bientôt avec toute la brutalité et cette violence, nous allions-nous retrouver au sol. Mais lui ne compte pas s’arrêter avant d’avoir pris son butin. Il use de ses muscles, pèse sur moi ; force, fonce, on aurait dit un fou furieux. Mais moi, je ne me laisse pas faire. Je ne veux pas qu’il parvienne à ses fins. Je lutte âprement… » C’est une scène de tentative de viol que vous racontez-là. En vous lisant, je me rappelle d’une phrase régulièrement évoquée au Bénin, on dit : « La femme repousse violemment ce qu’elle désire ardemment », n’est-ce pas cette philosophie qui a peut-être motivé votre agresseur en cet instant-là ?

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Mais non ! Je suis d’accord qu’il est entendu dans nos mœurs que lorsqu’on vous fait la cour, on ne dise pas oui, au premier coup ; mais là, nous sommes dans une chambre d’hôtel, mon agresseur est mon patron. A l’époque, il était mon collègue, il n’y avait pas ce genre de chose entre nous. On est déjà dans une violation d’une intimité. On est dans une chambre d’hôtel, il était chargé de communication d’un ministre, il a prétexté du séminaire qu’il avait organisé où j’étais invitée pour rentrer dans ma chambre d’hôtel. Et il voulait à tout prix, prendre ce que j’avais de plus cher. Ça c’est vraiment différent, c’est le propre des violeurs et je n’aimerais pas qu’on compare ça au fait que quand on vous fasse la cour, on puisse vous demander de persuader. Dans nos sociétés africaines, c’est ça ; mais il ne faut pas confondre la persuasion de l’être aimé au viol. C’est deux choses différentes.

Je vous comprends exactement, vous avez été agressée à plusieurs reprises, vous avez raconté tout cela dans votre ouvrage. Ce qui vous a amené à parler, ce sont les agressions verbales de celui qui était votre simple collègue et qui est devenu après votre patron. Et le 1er mai 2019, vous avez mis le pied dans les plats comme vous l’avez écrit sur Facebook : un post qui a touché tout le Bénin et qui a suscité beaucoup de remous. Comment vous vous êtes sentie après avoir publié ce post ?

Mais c’était la même tourmente qu’aujourd’hui. Quand j’avais écrit ces quelques phrases sur mon compte Facebook à l’époque, ça a été un vrai tourbillon que j’ai soulevé avec des pressions, du harcèlement en ligne, exactement comme aujourd’hui où j’ai levé le voile sur les violences que j’ai subi tout au long de mon parcours universitaire, également en milieu professionnel.

La preuve que ces questions demeurent toujours taboues, les hommes n’ont pas envie de se mirer, de se regarder en face pour dire : « Nous n’allons pas continuer avec ça ». J’avais beaucoup de pressions, c’est d’ailleurs à cause de ça que j’ai supprimé la première publication et je suis revenue avec une deuxième publication qui m’a valu beaucoup de choses. Dans mon entourage, on m’a insulté, j’étais comme une paria même jusqu’à présent dans le Bénin, je ne me sens pas très bien. Il y a des ami(e)s que j’avais et que je suis en train de perdre, mais je n’ai pas peur ; j’irai jusqu’au bout comme j’ai eu à le dire très souvent.

Ph/DR: Angela Kpéïdja, « …le vrai problème ce n’est pas moi, c’est la société »

Avec cet ouvrage, cette dénonciation, vous êtes devenue la porte-voix de toutes ces femmes, qui ont été violentées, violées.  Aujourd’hui, vous vous êtes dites : « Je me lance dans le combat, je ne baisse plus les bras, je ne ferme plus ma bouche, il faut briser le silence » ; et vous avez fondé une Ong dont le nom est : « N’ai pas peur ». Depuis qu’elle existe, quelles sont les actions concrètes que cette Ong a menées dans le cadre des violences faites aux femmes ?

Nous avons fait le tour de certaines Universités de notre pays, notamment, nous sommes allés à l’Université d’Abomey-Calavi, en  milieu scolaire à Porto-Novo pour faire des conférences sur le thème, harcèlement sexuel en milieu universitaire et scolaire ; nous sommes aussi allés dans certaines entreprises de la place, nous avons essayé de former des directeurs des ressources humaines par rapport à la prévention du harcèlement sexuel en milieu professionnel.

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A notre actif, il faut parler aussi de ce concours que nous avions organisé avec l’appui du ministère des affaires sociales de notre pays. Le concours visait à trouver des solutions par les jeunes, vu que les violences sont énormes dans notre société, elles se comptent par milliers. Nous avons cru bon de demander aux enfants garçons comme filles, comment ils pensent la prévention ?  Il y a eu une grande participation et ses enfants ont proposé des solutions que nous avons reversées au ministère des Affaires sociales, que nous nous sommes donnés le devoir de reverser aussi au niveau directement de la présidence.

En tout cas, ce concours a fait écho au niveau de la grande autorité du pays.  Nous avons l’Institut national de la Femme (INF) qui,  existait déjà dans le pays, a complètement fait sa toilette pour changer d’orientation stratégique. Aujourd’hui, cet institut peut se saisir de ces genres de dossiers et conduit ça jusqu’à termes. Ce ne sera plus à la victime d’y aller.

Voilà, lorsque vous portez plainte dans notre pays, ce n’est pas facile de faire le tour du tribunal, c’est déjà au niveau de la police que vous avez des problèmes. Les policiers ne sont pas formés pour l’interrogatoire à une victime de violence sexuelle, au niveau des juridictions, les avocats aussi, il faut avoir une grosse bourse pour pouvoir faire face à ça. Aujourd’hui, avec l’Institut national de la Femme, il y a des choses qui vont changer et nous avons espoir que les lignes vont véritablement bouger.

Angela Kpéïdja, si on vous donne l’occasion aujourd’hui, de parler à une jeune femme qui a peut-être été victime de harcèlement sexuel ou de viol, qu’allez-vous dire ?

Vous savez, ce genre de chose ne se guérit pas facilement. Elle est morte quelque part, à l’intérieur. Mais je vais devoir lui dire qu’il faut qu’elle s’aime assez pour comprendre que c’est l’autre, ses agresseurs, qui ont tort ; il faut qu’elle s’aime assez pour se prendre en charge ; il faut arracher la place qui est la sienne dans cette société qui veut nous anéantir ; il faut se dire que non, je ne suis pas différente des autres, ce n’est pas moi qui suis en question, ce sont les autres et prendre sa destinée en main ; se battre, changer de représentation de soi-même ; augmenter sa valeur, son estime de soi pour pouvoir faire face aux défis qui sont les siens.

(Transcription : Aline ASSANKPON)


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