Entré en apprentissage à 9 ans, en 2018 après avoir arrêté les études en classe de CE1, César Bidossessi reconnaît qu’il avait du mal à assimiler les cours. Son papa (menuisier), lui proposa son atelier. Mais César s’y opposa et choisit le métier d’électricien, alléguant qu’il n’y a personne dans sa famille qui exerce ce métier. «J’ai choisi ce métier parce que dans ma famille, il y a déjà un menuisier, des carreleurs, des plombiers, des tailleurs, etc, mais pas un électricien…». Aujourd’hui, fier de suivre les pas de son patron, César ignore tout du travail des enfants, il croit que c’est un passage obligatoire pour un garçon déscolarisé. Et si l’Etat béninois qui a ratifié la convention n°182 sur les pires formes de travail des enfants n’avait pas baissé la garde ces dernières années, le phénomène ne prendrait pas si tant d’ampleur.
A Abomey-Calavi (en banlieue de Cotonou, la capitale économique du Bénin), M. Tokannou, le patron de César, soutient la décision des parents de son jeune apprenti : celle de lui confier l’enfant très tôt : «Au lieu de laisser les enfants errer dans les rues, plus ils rentrent tôt dans l’atelier, plus ils comprennent vite et maîtrisent le métier. Le petit est intelligent et son âge ne joue pas. Dans cinq ou six ans, il sera grand et rien ne lui échappera (…)» confie-t-il allègrement, ignorant qu’il viole ainsi la loi sur le travail des enfants.
Les accidents de travail (blessures, incisions de tournevis, coups de marteau sur les mains, etc) sont fréquents avoue le jeune apprenti de 11 ans? Des sandalettes aux pieds, il poursuit, le sourire aux lèvres : « C’est des risques du métier ; cela ne peut m’empêcher de continuer (…) Je me soigne souvent le soir à la maison quand je suis blessé».
Ph/DR: L’un des apprentis de Jean-Baptiste (vulcanisateur) à l’atelier un dimanche servant les clients de moto et de véhicule.Un arsenal juridique pour combattre le phénomène
A l’instar de ce jeune apprenti, ils sont des milliers d’enfants à travailler dans les rues de nos villes et campagnes béninoises. Qu’ils soient garçons ou filles, on les retrouve dans les ateliers, sur les chantiers de construction de maisons, les champs, dans les carrières de pierres et de minéraux, les marchés et au cœur des ménages.
Et pourtant, le code béninois du travail portant loi n° 98-004 stipule dans son article 166 que : « Les enfants ne peuvent être employés dans aucune entreprise avant l’âge de 14 ans ». Ayant adhéré à l’Organisation internationale du Travail (OIT) depuis 1960, le Bénin a ratifié la Convention N° 182 sur le travail des enfants le 11 juin 2001. Malgré l’existence de cet arsenal juridique le phénomène persiste encore et reprend même des proportions inquiétantes.
Au lendemain, en l’an 2000, de l’adhésion du pays à cette convention internationale, le Gouvernement d’alors, avec l’appui des Partenaires techniques et financiers, s’était lancé dans une vaste campagne de sensibilisation qui s’était étalée jusqu’à 2012. Les études menées par le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF) avaient alors signalé « Le nombre d’enfants effectuant des travaux dangereux avait sensiblement baissé», et ce dans les 12 départements du pays.
Chassez le naturel, il revient au galop
En 2014, la même institution constatait que le relâchement des actions de sensibilisation avait été accompagné par une progression du taux du travail des enfants. A indicateurs multiples réalisés le taux du travail des enfants est passé de 34% à 52%. «Le travail des enfant est un phénomène essentiellement rural (42.3% contre 18.4 %) en milieu urbain. La majorité de ces enfants travaille dans le secteur agricole (65%) et dans les services (28.7 » constate l’étude de l’Unicef.
Par ailleurs, un article d’analyse (SITAN 2017 – page 9) publié le 26 avril 2020), souligne que « le travail des enfants est en nette aggravation par rapport à 2008 avec un taux de plus d’un sur deux (52,2%), dont quatre sur dix (40%) travaillant dans des conditions dangereuses». Seuls quatre départements sont les plus touchés par le phénomène : le Couffo 80% ; le Plateau 68% ; l’Alibori et le Borgou 60%.
Même si la majorité des Béninois connait l’existence d’une loi pénale interdisant les pires formes de travail des enfants, la plupart d’entre eux continue d’ignorer le phénomène. Pourtant, les pires formes de travail sous-entendent, entre autres, des travaux qui, par leur nature ou les conditions dans lesquelles ils s’exercent, sont susceptibles de nuire à la santé, à la sécurité ou à la moralité de l’enfant.
La Convention n° 182 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) sur les pires formes de travail des enfants, 1999, définit en son article 3 ce qui suit : «Aux fins de la présente convention, l’expression « les pires formes de travail des enfants » comprend : toutes les formes d’esclavage ou pratiques analogues, telles que la vente et la traite des enfants, la servitude pour dettes et le servage ainsi que le travail forcé ou obligatoire, y compris le recrutement forcé ou obligatoire des enfants en vue de leur utilisation dans des conflits armés ; l’utilisation, le recrutement ou l’offre d’un enfant à des fins de prostitution, de production de matériel pornographique ou de spectacles pornographiques ; l’utilisation, le recrutement ou l’offre d’un enfant aux fins d’activités illicites, notamment pour la production et le trafic de stupéfiants, tels que les définissent les conventions internationales pertinentes; les travaux qui, par leur nature ou les conditions dans lesquelles ils s’exercent, sont susceptibles de nuire à la santé, à la sécurité ou à la moralité de l’enfant.»
Souvent indexé, l’Etat a rendu, à partir de 2007, l’enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous les enfants de 6 à 11 ans. Une somme forfaitaire est payée par les garçons alors que l’accès est gratuit pour les filles, qui ne bénéficient pas des mêmes chances d’instruction que les garçons. Malgré cette décision du Gouvernement, on trouve encore des enfants de moins de 14 ans dans presque tous les ateliers et garages (mécanique auto et moto, électricité, taillerie, broderie, tapisserie, etc) et de nombreux chantiers de construction (maçonnerie, carrelage, soudure, menuiserie, ferraillage, forge, maroquinerie, etc).
La pauvreté, principale cause du phénomène
Jean-Baptiste (27 ans), chef vulcanisateur à Houèto (un quartier d’Abomey-Calavi) entretient sept (7) apprentis de 10 à 23 ans dans son atelier. Selon lui, la plupart de ceux-ci sont issus de familles pauvres, incapables d’assurer leur scolarisation ou leur suivi pour l’apprentissage d’un métier. Les apprentis vivent dans la précarité, passent la nuit dans l’atelier au bord de la voie et doivent contribuer à la recette journalière pour mériter leur pitance. Ces apprentis se contentent des sous donnés par leur patron-tuteur pour acheter à manger aux fins d’assurer leur repas quotidien.
En effet, Jean-Baptiste a lui-même été confié, lorsqu’il était mineur, à un patron. Il a subi le même quotidien. Ce qui ne l’empêche pas de se justifier : «Il n’y a pas de mal à ça puisque je suis passé par-là. J’ai souffert aussi, mais à 20 ans, j’avais déjà ouvert mon atelier grâce à l’appui de mon patron qui était aussi mon tuteur. Aujourd’hui, j’ai ma maison, ma femme et deux enfants. Donc, si ces apprentis restent dociles, leur avenir est garanti».
Une hypothétique promesse d’avenir. Une spirale de tourments au quotidien. Chez Jean-Baptiste, les plus âgés dirigent l’atelier en son absence, commandent les plus petits et assurent la recette quotidienne.
Le mariage précoce, le revers de la médaille
La pratique la plus courante est celle d’enfants vendeurs ambulants ou aides de maisons appelés « Vidomègon » (enfants placés en langue Fon ou domestiques). De petites filles travaillent pour subvenir aux besoins de leurs tuteurs ou indirectement de leurs parents. Au pire des cas, elles sont mariées de force à des hommes très âgés. C’est le revers de la médaille pour les vidomègon : le mariage précoce, une violation des droits de l’enfant. A cela s’ajoute la prostitution.
Face à la progression du phénomène, plusieurs Ongs nationales s’investissent dans le combat avec le soutien du Plan international, de l’Unicef, et autres institutions internationales. Des campagnes de sensibilisation et de prévention sont menées pour agir sur les causes profondes du phénomène : la pauvreté, l’éducation, l’amélioration des cursus, le changement des mentalités, la politique, pour réduire considérablement le phénomène.
«Malgré l’existence des lois, force est de constater que les mutilations génitales féminines, le mariage précoce ou forcé, le harcèlement sexuel, le travail des enfants, la prostitution, etc ; ces faits sont perpétrés quotidiennement en milieu urbain que rural avec les petites filles et les adolescents (…) » souligne Mme Françoise Sossou Agbaholou, Coordinatrice nationale du Réseau Wildaf-Bénin (Women in Law and Development in Africa).
Ces combats sont menés la plupart du temps sans l’implication du Gouvernement. Suite à un cas d’espèce présenté le Gouvernement béninois au Bureau international du Travail (BIT) par Demande directe (CEAR) (adoptée en 2018, publiée 108ème session CIT (2009 – NORMLEX), la Commission d’experts a expressément demandé au Gouvernement du Bénin de lui fournir « (…) des informations concrètes sur l’impact des mesures prises par le système de suivi du travail des enfants aux fins de l’élimination des pires formes de travail des enfants, notamment en termes du nombres d’enfants effectivement protégés contre ces pires formes» (…).
Nonobstant ces dispositions nationales et internationales, le phénomène persiste. Tout semble confirmé que demain n’est pas la veille.