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Sécurité alimentaire : Trois impératifs pour la circulation des denrées dans un climat de peur et de confusion (Banque mondiale)


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Ph: DR-: Juergen Voegele, Vice-président du Développement durable à la Banque mondiale.

La vue de rayons vides dans les supermarchés est toujours troublante. Si l’on superpose cette image à l’interdiction de voyager dans de nombreux pays aux prises avec la pandémie de Covid-19 (coronavirus), il est tentant de penser que les pénuries sont liées à l’insuffisance des réserves alimentaires mondiales. Mais rien n’est plus faux.

Les niveaux de production et les stocks mondiaux d’aliments de base n’ont jamais été aussi élevés et les cours mondiaux de la plupart des denrées alimentaires sont remarquablement stables depuis 2015. Il y a donc, à l’échelle mondiale, pléthore de nourriture. Seules les restrictions à l’exportation constituent un risque avéré , et les pays exportateurs devraient abandonner cette approche de toute urgence. Le marché alimentaire mondial est l’un des rares qui soient relativement stables aujourd’hui. L’objectif aujourd’hui est de préserver cette stabilité, et non de la détruire.

Alors, pourquoi les rayons sont-ils dégarnis ? Et quelles leçons tirer du passé et de nos expériences respectives pour parvenir à maintenir la circulation des produits alimentaires alors que le coronavirus a plongé le monde dans la peur et la confusion ? 

Premier impératif : comprendre que les rayons vides sont le signe de tensions locales, et non le fait de l’offre mondiale. Il est en effet indispensable de poser le bon diagnostic pour éviter de prescrire le mauvais médicament. Lors de la flambée des prix alimentaires mondiaux de 2007-2008, les stocks mondiaux de denrées étaient bas et les cours du pétrole élevés. Lors de la deuxième envolée des prix en 2010-2011, la production des principaux pays exportateurs avait nettement reculé en raison de conditions météorologiques défavorables. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. À quelques exceptions près, les niveaux de production de l’ensemble des principaux produits de base (blé, riz, maïs) sont supérieurs à la moyenne des cinq dernières années, les cours pétroliers sont bas et les stocks alimentaires mondiaux se situent à des niveaux historiques.

Les pénuries dans les rayons des supermarchés s’expliquent plutôt par des facteurs intérieurs . Partout dans le monde, les consommateurs procèdent à des achats de précaution : par crainte de l’avenir, ils font des provisions pour leur famille, ce qui entraîne une pression exceptionnelle sur certains produits. Avec la fermeture des restaurants et la chute brutale de la consommation alimentaire hors domicile, les achats de nourriture chez les grossistes et les détaillants augmentent, et les chaînes d’approvisionnement nationales ont besoin de temps pour s’ajuster progressivement à cette évolution des modes de consommation. La disponibilité des produits au niveau local pâtit également d’une pénurie de main-d’œuvre dans les secteurs de l’agriculture et de la transformation alimentaire ainsi que de la désorganisation des circuits de distribution nationaux causées par les mesures de confinement, les couvre-feux, la fermeture des marchés traditionnels et la morbidité dus à l’épidémie de Covid-19. En outre, à terme, les achats des consommateurs seront de plus en plus limités par la perte de revenus liée aux nombreuses fermetures d’entreprises et au chômage de masse. Par conséquent, la sécurité alimentaire ne se limite pas à l’abondance des denrées en supermarché ou sur les marchés : nous devons nous préoccuper du pouvoir d’achat des plus défavorisés 

Deuxième impératif, renoncer à l’interdiction des exportations, une réponse inadéquate qui risque d’empirer la situation. Lors de la crise de 2007-2008, un tiers des pays du monde ont pris des mesures commerciales restrictives, ce qui a conduit à un renchérissement généralisé des denrées. On estime que 45 % de la hausse des cours mondiaux du riz et près de 30 % de celle du blé s’expliquent par ces pratiques d’isolement commercial (a). Des premières mesures d’interdiction temporaire des exportations ont vu le jour dans des pays d’Europe de l’Est, d’Asie centrale et d’Asie. Elles ont jusqu’ici peu perturbé les flux d’exportation ou les cours mondiaux des produits alimentaires parce ces pays pèsent relativement peu dans les exportations mondiales. Toutefois, il est impératif que ces mesures protectionnistes soient levées et ne se propagent pas davantage. Compte tenu des stocks alimentaires historiquement élevés, ces interdictions causeront des dommages inutiles et ne feront qu’exacerber les répercussions économiques et sociales de la crise du coronavirus .

À cet égard, il est encourageant de voir les pays progressivement répondre aux appels d’une approche concertée et constructive lancés ces derniers jours par les Nations Unies (a), le G20 (a), l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (a) et l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (a), et se raviser, en ne donnant pas suite aux interdictions d’exportation qu’ils avaient annoncées. La communauté internationale a pour devoir de s’informer et de relayer des informations fiables sur l’état de la production alimentaire mondiale , afin d’endiguer les initiatives commerciales malheureuses qui perturberaient la stabilité du marché alimentaire mondial et fragiliseraient les pays importateurs. Tirant les leçons de la crise de 2007-2008, les ministres de l’Agriculture du G20 ont créé en 2011 le système d’information sur les marchés agricoles (AMIS) destiné à améliorer la transparence et la coordination des politiques sur les marchés internationaux des produits de base. L’AMIS évalue l’offre alimentaire mondiale, travaille étroitement aux côtés des organismes internationaux et des pays du G20 et sert de plateforme à une réponse politique concertée (son dernier bulletin de veille des marchés alimentaires a été publié le 2 avril 2020).

Troisième impératif : s’appuyer sur de bonnes pratiques éprouvées et les premiers enseignements des pays confrontés au coronavirus pour assurer la distribution des produits alimentaires du producteur au consommateur à un coût abordable et en toute sécurité . Au regard de la conjoncture, il serait avisé de : verser des transferts monétaires ciblés aux ménages afin de leur permettre d’acheter des denrées alimentaires ; en cas de rupture de stocks, fournir directement de la nourriture aux ménages dans le cadre d’opérations de filets sociaux et en complément des transferts d’espèces ; transformer les écoles en points de distribution alimentaire d’urgence afin de poursuivre la fourniture de repas scolaires et continuer de garantir une bonne nutrition chez les enfants vulnérables, mais aussi de nourrir d’autres membres de leur famille ; reconnaître la nourriture comme un produit de base essentiel et considérer tous les services liés à l’alimentation comme essentiels ; ouvrir des « circuits verts » pour l’alimentation, le commerce et les intrants agricoles afin que les chaînes logistiques restent ouvertes et fonctionnelles ; garantir l’accès et la disponibilité des principaux intrants agricoles (semences, main-d’œuvre, engrais, machines…), en maintenant le fonctionnement des chaînes d’approvisionnement en intrants pour ne pas compromettre la production en vue de la prochaine saison des plantations et en accordant des permis spéciaux aux travailleurs migrants ; travailler avec les acteurs de la filière de logistique alimentaire à des protocoles de dépistage sanitaire et proposer des incitations ciblées, ponctuelles et transparentes pour l’embauche de travailleurs, dans l’optique de garantir le transport et la logistique des denrées, notamment dans les zones éloignées et prioritaires ; assouplir la réglementation afin d’autoriser les établissements de restauration fermés (restaurants, centres de restauration, entreprises de commerce électronique) à réaffecter leurs équipements et leurs ressources à la livraison de denrées de base dans les zones les plus démunies ; soutenir les PME informelles et formelles du secteur alimentaire pour qu’elles puissent préserver leurs liquidités, survivre à d’éventuels effondrements de la demande et se relancer au sortir de la crise.

En fin de compte, l’alimentation est un enjeu éminemment local : ai-je suffisamment d’argent pour assurer mon prochain repas ?  Mon village ou ma ville peuvent-ils assurer aujourd’hui la vente de vivres ? Ai-je des semences pour pouvoir cultiver à la prochaine saison ? En collaboration avec les gouvernements et les autres organisations concernées, la Banque mondiale s’attache à surveiller la situation des filières agricoles et de la sécurité alimentaire dans l’ensemble des pays et des régions du monde.

Auteur : Juergen Voegele, Vice-président du Développement durable à la Banque mondiale.


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