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Guerre entre Riek Machar et Salva Kir au Sud-Soudan, ou l’Afrique du facteur ethnique


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Depuis la mi-décembre, le Sud-Soudan est plongé dans une grave crise. Pour le journaliste et écrivain Marcus Boni Teiga, les rivalités politiques et personnelles entre le président Salva Kir et son ancien vice-président Riek Machar se sont transformées, « à dessein et à des fins inavouées », en rivalités ethniques qui ont dégénéré en conflit. « Une politique suicidaire » trop fréquente en Afrique, analyse-t-il.

Ph: Dr - Salva Kiir, président du Sud Soudan

Ph: Dr – Salva Kiir, président du Sud Soudan

Le Sud-Soudan, le plus jeune et le 54e Etat d’Afrique, ayant accédé à l’indépendance le 9 juillet 2011 seulement, connaît la plus grave crise sociopolitique de son histoire. Depuis le 15 décembre, des affrontements armés ont éclaté entre partisans du président Salva Kir et ceux de son ancien vice-président Riek Machar à Bor, avant de toucher plusieurs villes du pays. Le premier accuse le second de « tentative de coup d’Etat » et le second accuse le premier de « mal gouvernance », voire de brader les intérêts du pays au Soudan d’Omar el-Béchir, leur ancien ennemi héréditaire et grand voisin du Nord. Riek Machar reproche en outre au président Salva Kir d’avoir fait trop de concessions à Omar el-Béchir, de s’être entouré de conseillers du Soudan du Nord et de chercher à éliminer ses rivaux politiques.

En fait, à l’origine de la situation actuelle, il y a surtout le limogeage de 28 ministres du gouvernement le 23 juillet 2013, Riek Machar compris. Dans la perspective de la présidentielle de 2015, le président Salva Kir n’a pas supporté que deux membres influents de son parti aient manifesté des velléités de se présenter contre lui : l’ancien vice-président Riek Machar et Pagan Amum, le secrétaire du Mouvement populaire de libération du Soudan (Sudan People’s Liberation Movement – SPLM), lui aussi sur la sellette. Les combats qui ont déjà fait des milliers de morts et de déplacés à travers le pays sont donc la résultante d’une lutte de pouvoir interne au parti présidentiel.

« De manière tragique aujourd’hui, le plus jeune pays du monde et sans aucun doute l’une des démocraties les plus fragiles est en danger d’éclatement. » Ainsi parla Linda Thomas-Greenfield aux sénateurs américains face au risque d’implosion que court le Sud-Soudan. Examinant la situation, les Etats-Unis, qui ont soutenu l’indépendance du sud du Soudan, à bout de bras, ont affirmé qu’il n’y a aucune preuve de tentative de coup d’Etat de la part de Riek Machar. Contrairement à ce qu’a laissé entendre le président Salva Kir. Cette déclaration n’est pas sans conforter l’ancien vice-président, qui n’a fait que rejeter les accusations à son encontre depuis le début du conflit. D’autant plus qu’il peut maintenant brandir sa victimisation pour réclamer la libération des prisonniers politiques de Salva Kir, ce qui est une condition sine qua non posée par ses représentants à Addis-Abeba en guise de préalable à un cessez-le-feu aux négociations conduites sous les auspices de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (Intergovernmental Authority on Development – IGAD).

De plus en plus impopulaire et en proie à des contestations jusqu’au sein de son propre parti, Salva Kir ne sait décidément plus à quel saint se vouer. Et tente par tous les moyens de conserver le pouvoir entre ses mains. Quitte à faire jouer le facteur ethnique dont on sait combien sont vivaces les ressentiments, et à s’allier l’homme qu’il traitait encore récemment de tous les noms de diable : le président Omar el-Béchir du Soudan.

Hélas, comme quasiment dans tout conflit du genre en Afrique, les rivalités politiques et personnelles entre Salva Kir et Riek Machar sont transformées, à dessein et à des fins inavouées, en rivalités ethniques. Comme si l’un ou l’autre agissait dans son action politique au nom et pour le compte de son ethnie, plutôt que celui du peuple sud-soudanais tout entier. Le pire, c’est quand on sait que le facteur ethnique dont l’Afrique a du mal à se départir dans la construction de ses Etats post-coloniaux trouve ses origines sociologiques à travers les ethnies auxquelles appartiennent les deux dirigeants sud-soudanais qui s’affrontent actuellement. A savoir l’ethnie Dinka de Salva Kir et l’ethnie Nouar de Riek Machar, qui descendent toutes deux d’un même peuple établi sur les bords du Nil depuis la nuit des temps. Car l’histoire orale et les traditions africaines enseignent que les Dinkas sont de la lignée de l’aîné et les Nouars de celle du cadet d’un unique ascendant.

Mais il y a des rivalités ancestrales qui se transmettent de génération en génération et qui ont la vie dure. A telle enseigne que tous les peuples africains ont quelque part hérité de ces querelles obscures des bords du Nil qui datent d’un autre âge. Le comble réside en ce que l’Africain malheureusement continue à se définir généralement par rapport à son ethnie, sa tribu ou son clan, au lieu de se définir par rapport à son nouvel Etat-Nation. Les acteurs politiques qui le savent bien, du reste, en jouent souvent pour des raisons partisanes. Ce qui exacerbe des rivalités et suscite la haine qui peut conduire parfois jusqu’au génocide, comme on l’a vu au Rwanda en 1994. Une politique suicidaire qui freine sans aucun doute le développement du continent.

Selon l’ONU, le conflit actuel a déjà fait plus de 200 000 déplacés. Des personnes tentant de traverser le Nil blanc infesté de crocodiles y ont trouvé la mort. A cela, il faut ajouter ceux qui ont été victimes de massacres, de meurtres et de viols à caractère ethnique perpétrés par les deux parties au conflit. En attendant donc l’issue des négociations d’Addis-Abeba, il convient de rappeler avec fermeté aux belligérants leurs devoirs en matière de droits de l’homme à l’égard des populations civiles. Lesquelles n’ont rien à voir avec leurs querelles politiciennes et égoïstes qui risquent fort de faire le lit à des mouvements rebelles ou extrémistes de tout acabit. Et même de plomber l’avenir du plus jeune Etat du monde, à long terme.

Auteur : Marcus Boni Teiga, journaliste et écrivain, ancien directeur de l’hebdomadaire Le Bénin Aujourd’hui.  


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