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Chronique de Carlos Lopez : L’Afrique doit tirer profit de ses ressources minérales « L’Afrique détient près du cinquième des réserves d’or et d’uranium… »


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L’économie politique de l’Afrique est profondément ancrée dans l’histoire de l’exploitation et de la gouvernance ou de la malgouvernance de ses ressources naturelles et minérales. Plus de 500 ans après l’exploitation commerciale de ses ressources, le  continent continue de posséder plusieurs des grands gisements inexploités de minéraux dans le monde. À titre d’exemple, l’Afrique a à son actif trois quarts de l’offre mondiale de platine  et la moitié de celle de diamant et de chrome. Elle détient près du cinquième des réserves d’or et d’uranium et devient de plus en plus le continent où l’on produit du pétrole et du gaz, avec plus de 30 pays classés aujourd’hui dans la catégorie des producteurs.

 

Pourtant, à quelques exceptions près, le continent ne consomme pas les matières minérales et autres produits minéraux qu’il possède en abondance ni ne leur ajoute de valeur significative. Nos pays sont plutôt des exportateurs nets de matières premières qui alimentent la prospérité et le développement dans d’autres régions. L’Afrique est essentiellement considérée comme preneuse plutôt que fixeuse de prix et joue un rôle marginal dans le commerce international.

La question qui se pose alors est de savoir pourquoi le continent continue d’être aux prises avec une transformation économique limitée et des niveaux de rentes tirées des ressources naturelles faibles, voire nuls, et pourquoi il offre peu d’emplois. Au cours des 10 dernières années, les prix des matières premières ont atteint un supercycle, mais la part de l’Afrique dans ces gains exceptionnels a été infime, comparée à ce que les sociétés minières ont engrangé. Les bénéfices nets moyens des 40 premières sociétés minières ont augmenté de 156 % en 2010,  alors que la part perçue par les gouvernements n’a augmenté que de 60 %, dont l’essentiel est allé à l’Australie et au Canada, deux pays qui désirent volontiers partager leur expérience avec l’Afrique. En effet, la plupart des pays africains ont perçu beaucoup moins que ce pourcentage, du fait des généreuses exemptions d’impôts accordées aux sociétés minières !

Si l’on examine la question sous un autre angle, le bénéfice réalisé par le même groupe de sociétés minières en 2010 était de 110 milliards de dollars, ce qui équivaut aux exportations de marchandises de tous les PMA africains au cours de l’année en question. Il est donc juste de dire que le modèle de développement axé sur les ressources désavantage considérablement les fournisseurs de matières premières. La conclusion qui peut se dégager de cette situation est que ce modèle actuel qui offre les ressources pour le développement ne contribue pas à l’instauration de l’équité ni à l’accélération du développement.

Élaborée conjointement par l’Union africaine, la Commission économique pour l’Afrique, la Banque africaine de développement et d’autres institutions des Nations Unies, la Vision africaine des mines a été adoptée par les chefs d’État de l’Union africaine en 2009. Elle préconise une « exploitation transparente, équitable et optimale des ressources minérales en tant que fondement d’une croissance durable et d’un développement socioéconomique généralisé ».

La  Vision africaine des mines part de l’idée que les ressources minérales de l’Afrique peuvent être mieux exploitées pour répondre aux besoins sociaux et économiques du continent ; ce en accordant l’importance voulue à la durabilité environnementale et sociale, aux avantages découlant de l’intégration régionale et internationale avec les défis connexes que pose l’infrastructure matérielle et immatérielle, ainsi qu’à l’établissement de liens en amont et en aval et même latéraux à partir du secteur minier de base et aux principes d’équité et de justice  dans le partage des avantages et l’utilisation des recettes tirées des ressources .

Pour réaliser les fortes aspirations contenues dans cette Vision, l’Afrique se doit de revenir aux fondamentaux et de régler certains des problèmes initiaux qui continuent de compromettre la gestion des ressources naturelles du continent.

Le succès de cet effort repose sur la capacité des gouvernements d’obtenir les meilleurs prix pour leurs pays lors de la négociation des contrats. Des déficits de capacité ont été par ailleurs constatés dans des domaines essentiels que sont l’audit, le suivi, la réglementation et l’amélioration des régimes d’exploitation des ressources. En République démocratique du Congo, un comité gouvernemental a procédé à l’examen de 61 contrats miniers passés au cours de la décennie allant à 2006, et n’en a trouvé aucun d’acceptable. Il a alors recommandé la renégociation de 39 et l’annulation de 22.

La Zambie, à la faveur de la hausse des cours internationaux du cuivre et après des années de subvention des grandes entreprises multinationales opérant   dans la zone cuprifère, a réussi à relever les impôts sur les sociétés minières de 25 à 30 % et à introduire un impôt sur les bénéfices exceptionnels. Cela lui a permis d’engranger 415 millions de dollars de recettes supplémentaires. D’autres pays africains ont lancé des processus similaires d’annulation ou de révision des contrats portant sur les ressources, notamment la Guinée, la Zambie, la Tanzanie, le Libéria et le Nigéria, dans l’optique d’élargir la base de leurs recettes tirées des ressources. Cette tendance continuera de se généraliser au fur et à mesure que les organisations de la société civile et les États prendront conscience du manque à gagner dans les recettes tirées de leurs ressources.

Des mécanismes internationaux, tels que le Processus de Kimberley concernant les diamants et l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives pour ce qui est des autres minéraux, quoique présentant des faiblesses manifestes, ont contribué à améliorer la transparence et l’obligation de rendre compte dans le processus de négociation des contrats du côté de la production, de même que la loi Dodd-Frank (Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act) et autres lois  semblables ont ouvert la voie à la loyauté dans les milieux internationaux.

D’une part, il conviendra également de freiner la tendance à la réduction de la marge d’action de l’Afrique dans les négociations commerciales internationales. Les traités non équitables sur le commerce et les règles injustes établies par les organismes internationaux et qui compromettent la création par l’Afrique de valeur ajoutée pour ses matières premières doivent être révisés à la lumière de la demande accrue et de la ruée des pays émergents du Sud, notamment la Chine et les pays de l’Extrême-Orient, vers ses ressources minières.

D’autre part, du point de vue géologique, l’Afrique reste le « continent inconnu », qui regorge d’énormes quantités non explorées de ressources naturelles à extraire. Les opérations de cartographie géologique et d’inventaire des ressources minérales n’ont pas encore couvert l’ensemble du continent, ce qui masque son véritable potentiel géologique. Les gouvernements africains ne sont pas en  mesure de procéder à une estimation de leurs ressources minérales, permettant ainsi aux  sociétés transnationales d’avoir accès aux quantités commercialisables des gisements récemment découverts, en particulier de pétrole et de gaz. Ce manque de données vérifiées compromet gravement la capacité et le pouvoir de négociation de l’Afrique. De nouvelles technologies existent en abondance qui pourraient permettre au continent de mieux apprécier sa base de ressources naturelles, mais l’idée est entravée par le manque d’engagements financiers soutenus, l’exploration étant laissée en grande partie entre les mains du secteur privé.

Une troisième mesure structurelle importante consiste à assurer une meilleure intégration des politiques de développement du continent. L’Afrique a besoin d’intégrer fermement les objectifs de développement à long terme dans les processus d’extraction des ressources naturelles. Pour que l’exploitation minière profite aux populations africaines, de solides liens en amont et en aval au sein de l’économie locale devraient être établis et permettre aux entrepreneurs et aux industriels locaux de tirer parti des possibilités de fourniture de services et de transfert de technologies, du fait de leur proximité de l’industrie minière. Autrement dit, il faudrait réaliser des investissements dans l’infrastructure, dans la recherche et le développement du capital humain, ce en fixant des exigences en matière de contenu local. C’est bien ce qu’ont fait d’autres régions, l’Afrique doit faire autant.

Dans ce modèle d’exploitation minière tiré par le développement, on devrait également renforcer et mettre à profit le potentiel de l’activité minière à petite échelle afin d’améliorer les moyens de subsistance en milieu rural et d’accélérer l’intégration dans l’économie rurale et nationale. Au nombre des autres préalables, il convient de citer des facteurs tels que le renforcement des capacités humaines et institutionnelles aux fins de la promotion d’une économie du savoir qui soutient l’innovation et la recherche-développement, ainsi que de la bonne gouvernance d’un secteur minier dans lequel les collectivités et les citoyens participent au processus décisionnel et sont parties prenantes en ce qui concerne les avoirs miniers, et où il existe l’équité dans la répartition des bénéfices.

Pour conclure, les ressources naturelles de l’Afrique sont une bénédiction et non une malédiction et peuvent être et serviront de signes avant-coureurs de la montée en puissance du continent face à l’appétit insatiable de ressources naturelles qui se manifeste sur la scène internationale. Pour ce faire, des cadres tels que la Vision africaine des mines doivent être mis en œuvre et servir de  référence à l’échelon national et régional.

Carlos Lopez

PH : DR - Carlos Lopez, Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l'Afrique

PH : DR – Carlos Lopez, Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique


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